Les enfants dans les procédures frontalières et d’asile : Le refoulement des enfants migrants à la frontière

Posted on Posted in Citoyenneté, Droits des enfants, Droits Humains, Liberté, Migration, réfugiés

L’absence de dispositions concernant les questions de l’invisibilité des enfants dans les procédures d’asile et l’orientation du cadre migratoire vers les adultes se traduit souvent par un manque de protection de ce groupe particulièrement vulnérable. À la frontière entre le Maroc et l’Espagne, à Melilla et à Ceuta, cela est particulièrement visible dans la procédure de refoulement des enfants migrants et autres demandeurs d’asile. Ce traitement sans distinction des enfants par les autorités frontalières espagnoles entraîne un manque de protection des enfants, qui subissent un traitement inhumain et dégradant et sont renvoyés dans des situations dangereuses et défavorables.

Situation géographique

Les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta sont situées au nord du continent africain et, malgré leur emplacement, font partie du Royaume d’Espagne. Les deux villes partagent la seule frontière terrestre directe d’un pays de l’UE avec l’Afrique, plus précisément avec le pays du Maroc en Afrique du Nord.

L’ensemble de cette frontière hispano-marocaine est protégé par une structure de clôture en fil de fer barbelé sur le territoire espagnol. (Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, 2018). La construction et donc la protection de la seule frontière terrestre Afrique-UE contre la migration irrégulière a commencé en 1990 et s’est améliorée en hauteur et en surveillance technique au fil des années, coûtant à l’Espagne plusieurs centaines de millions d’euros (une partie de ce montant étant les fonds de l’UE) (Amnesty International, 2015).

Situation juridique

Cadre juridique national

Jusqu’à la fin de 2014, l’Espagne ne disposait pas de procédures légales et accessibles pour demander l’asile à la frontière et n’avait pas de base juridique pour la procédure de refoulement mise en œuvre, car elle s’appuyait sur des protocoles qui la légitimaient, mais ne la légalisaient pas.

Le 1er avril 2015, la modification de la loi organique espagnole 4/2015 a été adoptée par l’ajout de la dixième disposition additionnelle sur le régime spécial de Ceuta et Melilla qui fournit une base juridique pour les « refoulements ». Cette dixième disposition additionnelle permet aux agents des frontières de rejeter « les ressortissants étrangers qui sont détectés sur la ligne frontalière de la démarcation territoriale de Ceuta ou Melilla alors qu’ils tentent de défaire les éléments de contrôle de la frontière afin de franchir cette dernière de manière irrégulière […] afin d’empêcher leur entrée illégale en Espagne » (loi organique 4/2015, dixième disposition additionnelle).

Outre une large référence aux normes internationales en matière de droits de l’homme et de protection internationale, le régime spécial de Ceuta et Melilla ne prévoit aucune disposition spécifique mettant en œuvre ou exigeant un traitement différencié des enfants et reconnaissant leur vulnérabilité unique, même en situation d’entrée irrégulière sur le territoire espagnol.

Accords de réadmission hispano-marocains

En 1992, les accords de réadmission entre le Maroc et l’Espagne ont créé un accord bilatéral de coopération pour la réadmission des migrants entrant illégalement en Espagne en provenance du Maroc. Ces accords ont déterminé le Maroc comme le gardien de la frontière extérieure européenne.

La procédure de réadmission, inscrite dans les articles 1 à 5 des accords, prévoit que l’Espagne peut demander officiellement au Maroc de réadmettre des migrants sur son territoire lorsque ces personnes entrent irrégulièrement sur le territoire espagnol. En outre, l’accord de réadmission ne met pas en œuvre les dispositions qui reconnaissent la vulnérabilité des enfants et créent une obligation pour les États de mettre en œuvre des mesures appropriées pour sauvegarder et protéger ces vulnérabilités.

Les enfants migrants à la frontière

Accès à la protection des migrants

En raison de l’absence de centres d’accueil officiels et établis pour les demandeurs d’asile, de nombreux enfants migrants résident dans des camps et installations informels au Maroc (Human Rights Watch, 2014). La majorité des enfants dans ces camps sont d’origine subsaharienne, car le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) décrit l’accès aux procédures établies de demande de protection internationale, légales et sûres, comme étant effectivement impossible pour ceux qui en ont besoin (HCR, 2018).  Les autorités marocaines contrôlent l’accès aux bureaux d’asile légaux à la frontière. Le HCR a publié qu’entre 2014 et 2017, seules 35 personnes d’origine subsaharienne (contre 11.150 personnes d’origine du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord) ont demandé l’asile (HCR, 2018).

Cette inaccessibilité des procédures régulières à la frontière conduit les enfants originaires d’Afrique subsaharienne à contourner les procédures existantes et à s’approcher irrégulièrement de la frontière en espérant déclencher la responsabilité juridictionnelle de l’Espagne et par conséquent l’obligation d’évaluer leur besoin de protection (Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, 2020). Si on les compare aux itinéraires réguliers, les itinéraires irréguliers sont très dangereux et comportent un risque élevé pour la vie et le bien-être de ces personnes (La Sexta, 2020).

Accès à la protection de l’enfance

Le gouvernement marocain ne fait pas de distinction entre les groupes particulièrement vulnérables, en particulier les enfants, malgré la ratification de la CDE (Human Rights Watch, 2014). Les autorités marocaines, représentées par les forces auxiliaires marocaines (MAF), exposent régulièrement à la violence les enfants installés dans les camps informels (Human Rights Watch, 2014).

Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), ce traitement des enfants qui résident dans les campements informels proches des villes de Nador et d’Oujda constitue en soi un mauvais traitement et une violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (HCDH, 2018). En outre, le Comité des droits de l’enfant est préoccupé par la mise en œuvre des garanties procédurales consacrées par le principe de « l’intérêt supérieur de l’enfant », l’accès aux soins de santé, la détérioration des conditions sanitaires des enfants dans les centres d’accueil pour migrants ainsi que l’arrestation et la détention des enfants réfugiés et demandeurs d’asile (Comité des droits de l’enfant, 2014).

Les “Push Backs” en Espagne (Renvois immédiats)

Définition

Les « renvois immédiats » ou « Push Backs » décrivent les expulsions de facto et sans aucune garantie procédurale ni aucune protection de toute personne qui entre dans un pays de manière irrégulière. Notamment, « les expulsions sans évaluation individuelle des besoins de protection sont devenues un phénomène avéré aux frontières de l’Europe, ainsi qu’à l’intérieur des territoires des États membres. Comme ces pratiques sont répandues, et dans certains pays systématiques, ces « push backs » peuvent être considérés comme faisant partie des politiques nationales plutôt que comme des actions accessoires. Le risque le plus élevé associé aux “push backs” est le risque de refoulement ». (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 2019).

Procédure mise en œuvre

« La Guardia Civil m’a expulsé deux fois. Je n’ai pas eu l’occasion de donner une interview ou de raconter mon histoire. Ils ne demandent pas votre âge ou quoi que ce soit, ils vous expulsent simplement. La Guardia Civil m’a remis aux militaires marocains qui m’ont frappé avec du bois partout [sur mon corps] ».

Loïc E., 2012

Les individus sont détenus sans discernement, souvent avec violence, et à travers les portes et portails de la structure de clôture, repoussés sur le territoire marocain ou remis aux forces de sécurité marocaines qui font fréquemment un usage excessif de la violence (Human Rights Watch, 2014). Ces expulsions sont effectuées sans aucun enregistrement ni évaluation de l’identité et des vulnérabilités du migrant car les autorités espagnoles ne considèrent pas ces individus sur leur territoire et dans leur juridiction (Human Rights Watch, 2014).

Les autorités espagnoles appliquent une interprétation opérationnelle des frontières, qui prévoit la possibilité de déplacer la démarcation de la frontière avec la ligne de position des agents frontaliers. En conséquence de cette interprétation, l’Espagne exige que les individus franchissent physiquement la ligne des agents frontaliers pour prétendre légalement être présents sur le territoire espagnol (Human Rights Watch, 2014).

Cette conception permettrait aux autorités espagnoles de déplacer la ligne de démarcation au cas par cas (Service jésuite des migrants, s.d.) et nie toute responsabilité juridictionnelle aux migrants qui, en franchissant la frontière territoriale, sont physiquement présents sur le territoire espagnol et sont sous le contrôle effectif des autorités espagnoles (Comité des droits de l’enfant, 2019). Cette conception de la juridiction est contraire au concept de juridiction universellement accepté et contraignant, que la Cour européenne des droits de l’homme a défini dans sa jurisprudence comme l’exercice d’un contrôle effectif sur une personne ou un territoire – de fait ou de droit (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, 2011).

Point de vue du Comité des droits de l’enfant

Dans son avis consultatif sur l’affaire D.D. contre l’Espagne en 2019, le Comité des droits de l’enfant a exprimé que la procédure susmentionnée mise en œuvre par l’Espagne à la frontière avec le Maroc constitue une violation des articles 3, 20 et 37 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (la Convention) (Comité des droits de l’enfant, 2019).

D.D. est un citoyen malien né le 10 mars 1999. Le 2 décembre 2014, il est arrivé en Espagne en tant qu’enfant non accompagné. Après avoir tenté de franchir la frontière de manière irrégulière en escaladant la structure de clôture et en y passant plusieurs heures sans recevoir aucune assistance des autorités espagnoles, il a été arrêté et immédiatement renvoyé au Maroc sans aucune assistance juridique et linguistique préalable, sans évaluation initiale de son statut d’enfant non accompagné, sans contrôle d’identité, sans entretien ni évaluation de sa situation personnelle spécifique et de ses vulnérabilités (Comité des droits de l’enfant, 2019).

Dans son avis consultatif, le Comité souligne qu’un État partie « a l’obligation de ne pas renvoyer un enfant dans un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable pour l’enfant » (Comité des droits de l’enfant, 2019). Dans le cas de D.D., les autorités espagnoles, en n’évaluant ni l’identité, ni la situation personnelle, ni les vulnérabilités ainsi que le risque de persécution et de préjudice irréparable, n’ont pas respecté cette obligation (Comité des droits de l’enfant, 2019).

En outre, compte tenu des circonstances susmentionnées auxquelles un enfant migrant est confronté dans la zone frontalière, des mauvais traitements et de la violence, et de la manière dont D.D. a été expulsé, étant détenu sans être entendu, l’Espagne a violé les articles 3 et 37 de la Convention. L’absence de contrôle d’identité et d’évaluation de sa situation constitue une violation des articles 3 et 20 de la Convention (Comité des droits de l’enfant, 2019). Malgré cette position adoptée par le Comité des droits de l’enfant et l’obligation prévue à l’article 11 du protocole facultatif de 2014 sur une procédure de communication, l’Espagne n’a pas encore modifié la procédure mise en œuvre et continue de violer systématiquement le droit de l’enfant dans la procédure à la frontière (Comité des droits de l’enfant, 2019).

Le dernier rapport bien documenté d’un refoulement à la frontière hispano-marocaine a été confirmé en janvier 2020, lorsque 42 personnes, dont deux enfants, en mauvais état de santé ont été repoussées sans discernement des îles Chafarinas espagnoles au port marocain de Ras El Ma par la Guardia Civil (Cadenaser, 2020). Le gouvernement espagnol a désavoué ce refoulement malgré des preuves concluantes et décisives du contraire sous forme de photos et de localisations GPS. Le gouvernement a publié ce refoulement comme une mission de sauvetage par les autorités marocaines sans aucune implication de la Guardia Civil.

Agissons maintenant

Malgré une reconnaissance quasi universelle des droits de l’enfant et de l’enfant en tant que détenteur de droits individuels dans la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, la mise en œuvre et la reconnaissance de ces droits à l’intersection du droit de l’enfant et du droit des réfugiés et des migrants ont encore beaucoup de chemin à parcourir. Les États doivent étendre le cadre international existant pour les réfugiés et les migrants afin d’assurer une protection efficace et adaptée à l’âge des enfants migrants.

Humanium, en tant que membre de Child Rights Connect, l’organisation qui a rédigé la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, s’engage fortement dans la protection des enfants vulnérables dans le monde entier. Humanium œuvre pour un monde où les droits de l’enfant sont universellement et effectivement respectés, protégés et appliqués dans toutes les circonstances impliquant un enfant. Vous pouvez contribuer à sensibiliser le monde à la question de l’enfance en soutenant Humanium, en parrainant un enfant, en faisant un don, en devenant membre ou bénévole.

Écrit par Alexander Weihrauch

Traduit par Chaima Naimi

Relecture par Clément Collin

Pour plus d’informations :

El Diario (n.d.), “The deaths from Ceuta”, translated from: El Diario, ‘Las muertes de Ceuta’, available in Spanish.

Bibliographie :

2014 Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on a communications procedure

Amnesty International (2015), „Fear and Fences – Europe´s approach to keeping refugees at bay “.

Cadenaser (3 January 2020), “The Guardia Civil returns “hot” the 42 persons who arrived on the Chafarinas Islands this morning”, translated from: Cadenaser, “La Guardia Civil expulsa « en caliente » a Marruecos a las 42 personas que habían llegado esta madrugada a las Islas Chafarinas; available in Spanish.

Committee on the Rights of the Child (1 February 2019), “Advisory opinion on D.D. vs. Spain”, CRC/C/80/D/4/2016.

Committee on the Rights of the Child (October 2014), “Concluding observations on the combined third and fourth periodic reports of Morocco”, CRC/C/MAR/CO/3-4.

ECtHR (13 February 2020), N.D and N.T. v. Spain, Judgement, Appl. no. 8675/15 and 8697/15.

ECtHR (7 July 2011), Al-Skeini and others v the United Kingdom, Judgement, Appl. no. 55721/07.

Entre Pueblos (2020), “Communication about the hot returns from Chafarinas on 3 January”; translated from: Entre Pueblos, “Comunicado sobre la devolución en caliente de Chafarinas del 3 de enero”. 

European Centre for Constitutional and Human Rights (September 2018), “Case Report Melilla”.

European Council on Refugees and Exiles (2020), “Spain: Access to the territory and push backs”, Asylum Information Database.

Human Rights Watch (February 2014), “Abused and Expelled – Ill-treatment of Sub-Saharan African Migrants in Morocco”.

Human Rights Watch interview with Loïc E., Nador, December 9 2012, in: Human Rights Watch (February 2014), “Abused and Expelled – Ill-treatment of Sub-Saharan African Migrants in Morocco”.

Jesuit Migrant Service Spain (n.d.); University Institute of Studies on Migration; “No protection at the border: Human Rights at the southern frontier: between Nador and Melilla”.

La Sexta (16 January 2020), “17-year-old migrant rescued from car dashboard in Melilla”, translated from: La Sexta, “Rescatan a una migrante de 17 años oculta en el salpicadero de un coche en Melilla”.

Ministry of Interior (16 March 2015), press release “Jorge Fernández Díaz stresses that the opening of the International Protection Offices reaffirms Spain’s commitment to the defence of human rights” , translated from: Ministerio del Interior, “Jorge Fernández Díaz subraya que la apertura de las Oficinas de Protección Internacional reafirma el compromiso de España con la defensa de los derechos humanos« .

OHCHR (March 2018), “Migration policies can amount to ill-treatment and torture, UN rights expert warns”, Geneva.

Organic law 4/2015, of 30 March, on the Protection of the Public Security, p. 27242 (Ley Orgánica 4/2015, de 30 de marzo, de protección de la seguridad ciudadana, pag. 27242).

Parliamentary Assembly of the Council of Europe (28 June 2019), Resolution 2299, “Pushback policies and practice in Council of Europe member States”, para. 1.

The Agreement between the Kingdom of Spain and the Kingdom of Morocco on the movement of people, the transit and the readmission of foreigners who have entered illegally entered into force on 21 October 2012. It had been provisionally applied since 13 February 1992, date of its signature.

UNHCR (3 April 2018), “Supplementary observations by the Office of the United Nations High Commissioner for Refugees in the cases of N.D. and N.T. v. Spain before the Grand Chamber of the European Court of Human Rights”. UNHCR (February 2019), “Fact Sheet – Morocco”, p. 3.