2020, une année scolaire perdue ? L’impact du Covid-19 sur l’éducation en Afrique de l’Est : étude de cas au Kenya

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Une étude menée dans 9 pays d’Afrique (dont le Kenya) par Human Rights Watch (HRW), entre avril et août 2020, a révélé que le Covid-19 aggrave les inégalités, en empêchant les enfants vulnérables de bénéficier d’une éducation de qualité (Human Rights Watch, 2020). Le 11 novembre 2020, le Kenya comptait 6 588 cas de Covid-19 et 1 154 morts (John Hopkins University, 2020). Malgré les efforts nationaux et les mesures strictes mises en place pour ralentir la propagation du virus, le pays continue de souffrir des répercussions de la pandémie (BBC, 2020).

Le sort des enfants est particulièrement préoccupant, ainsi que les menaces sur leur droit inaliénable et fondamental à l’éducation. Inscrit à l’article 53 (1) de la Constitution du Kenya (Constitution de la République du Kenya, 2010), le droit à l’éducation est actuellement, plus que jamais, en danger. Dans un pays comptant un grand nombre d’enfants défavorisés, la pandémie mondiale restreint sévèrement l’accès des jeunes enfants à une éducation de qualité, ce qui les expose dans le futur à de graves violations des droits de l’homme.

Le droit à l’éducation au Kenya pendant la pandémie du Covid-19

Les fermetures d’écoles, en raison du Covid-19, compromettent la réalisation des objectifs fixés dans le plan de développement adopté par le Kenya (Kenya Vision 2030) pour parvenir à une éducation de qualité pour tous (Ngwacho, 2020). Ce plan d’action sur 10 ans vise à atteindre et réaliser les Objectifs de développement durables (Assemblée générale des Nations-Unies, 2015) et par là même à sauvegarder le droit à l’éducation. Dans ce cadre, et avant que le virus du Covid-19 ne se propage à travers le monde, le gouvernement avait privilégié la culture numérique via son programme « digischool » – qui vise à équiper tous les étudiants avec les outils numériques nécessaires pour réussir dans le monde moderne (Autorité des TIC du Kenya).

Suite au premier cas de Covid-19 dans le pays, le 13 mars 2020, les écoles ont brusquement fermé et sont restées fermées depuis, ce qui implique que les enfants de toute les tranches d’âges doivent refaire leur année scolaire 2020 en 2021 (Njenga, 2020). La fermeture des écoles a affecté plus de 18 millions d’enfants au Kenya et a ainsi incité à développer un plan de réponse au Covid-19. (Plan d’intervention d’urgence pour l’éducation de base au Kenya face au COVID-19).

A travers cette initiative, le gouvernement du Kenya a fourni un support pédagogique à distance en utilisant Internet et la télévision et a encouragé les institutions académiques à  adapter leur matériel pédagogique pour créer un environnement d’enseignement en ligne plus accessible (Ngwacho, 202). Ce plan cible à la fois les étudiants vulnérables et les professeurs et vise à capitaliser sur l’infrastructure radio existante pour améliorer la possibilité d’un «  apprentissage communautaire » (Global Partnership, 2020).

Selon les propos du Secrétaire du Cabinet chargé de l’Éducation et du Directeur général du Ministère de la Santé, le Kenya donne avant tout la priorité au droit de tous les enfants kényans à la vie : « Le Kenya n’a pas à s’excuser de fermer des écoles pour sauver les enfants du Kenya, parce que chaque enfant a droit à la vie » (Walufa, 2020), tandis que le pays planifie des « mesures marathon » à long terme qu’il sera nécessaire de mettre en place pour garantir la qualité de l’éducation pour tous dans un monde post-Covid-19 (Onsongo, 2020).

Le 12 octobre 2020, les étudiants des groupes prioritaires, considérés comme « candidats aux examens dans les années de transition », avaient demandé de retourner à l’école, dans un environnement sécurisé par rapport au Covid-19 (Muchunguh & Nyamai, 2020) afin de passer leurs examens pour éviter que leur parcours scolaire ne soit affecté. Le pays fait encore face à des problèmes budgétaires et logistiques dans l’application des mesures de distanciation sociales sur les campus scolaires (Wahito, 2020), ce qui a incité le Président à réclamer des actions supplémentaires (Muchunguh, 2020). Bien que le Ministère de l’éducation fournisse des masques à tous les enfants retournant à l’école, les problèmes relatifs à la disponibilité de l’eau et de l’assainissement signifient que les installations pour le lavage des mains ne peuvent pas être garantis (Ambani, 2020).

Quels sont les principaux défis pour garantir le droit à l’éducation ?

L’enseignement à distance, la technologie et la culture numérique

Un des problèmes les plus immédiats est l’incapacité du pays à fournir des opportunités d’enseignement à distance efficace et accessible aux enfants.  Les enfants marginalisés, avec des difficultés implicites comme ceux qui sont handicapés, ceux qui vivent dans des logements informels, des bidonvilles ou des lieux isolées ou encore les demandeurs d’asile et les réfugiés ont un risque plus élevé de ne pas pouvoir bénéficier des opportunités d’enseignement à distance (Ngwacho, 2020).

En 2016, 50% des Kényans n’avaient pas accès à Internet (Conseil Economique et Social des Nations-Unies, 2016), de même, les enfants n’ont souvent pas accès à Internet, aux ordinateurs portables ou aux smartphones connectables à Internet pour mener à bien leur travail (Human Rights Watch, 2020), malgré que le précédent gouvernement ait promis de fournir ces équipements à tous les enfants (Jelimo, 2020). Ce manque d’accès, combiné au coût d’Internet, est plus grave dans les régions rurales, créant une fracture numérique, qui exclut une grande majorité d’étudiants Kényans de l’enseignement (Ngwacho, 2020).

Même dans les régions où les enfants ont accès à Internet, les programmes d’enseignement à distance manquent d’une infrastructure fiable, étant donné que les professeurs ont une connaissance limitée de l’enseignement en ligne et que le pays a eu peu de temps pour se préparer à ces réalités (Jelimo, 2020). La mise à disposition dans le cloud de matériel éducatif par le Kenya Institute of Curriculum Development’s (KICD) est une étape positive.

Cette organisation tente de centraliser l’éducation et l’enseignement pour rendre les ressources scolaires vitales plus accessibles ; cependant, ce matériel n’est profitable que pour la minorité qui peut y accéder (Njenga, 2020). Les étudiants avec accès à Internet ont révélé par la suite que le coût de l’accès à Internet les force à choisir quel matériel télécharger, limitant ainsi l’impact des ressources disponibles (Human Rights Watch, 2020).

Les effets négatifs sur les filles

De manière disproportionnée, les filles, en particulier celles venant de milieux à faibles revenus, courent de plus le risque de subir l’exclusion sociale par rapport aux opportunités d’éducation (Odhiambo, 2020).  En ce qui concerne les disparités de genre préexistantes, les filles, déjà  confrontées à de graves obstacles à leur accès à l’éducation, tels que la mutilation génitale féminine (MGF) et le mariage forcé d’enfants, courent maintenant plus gravement le danger d’être exposées aux violences, à l’exploitation sexuelle, au mariage infantile et au trafic d’enfants (Odhiambo, 2020). Les écoles représentent en général « des refuges » pour les filles, ce qui signifie que ne pas aller à l’école les expose à de plus grands risques de violence et d’exploitation sexuelle, de mariage infantile et de trafic d’enfants. (Odhiambo, 2020).

Cela est mis en évidence par des statistiques locales récentes, qui montrent une augmentation du nombre de grossesses chez les adolescentes, du travail des enfants et des actes sexuels en échange de nourriture ou d’argent, des faits d’avantage « tolérés » en raison des circonstances provoquées par le Covid-19 (Kenya Citizen News TV, 2020). Ces atrocités ne sont souvent pas rapportées. Ce qui reste clair, c’est que les attentes traditionnelles concernant le rôle des jeunes filles, sont qu’elles s’occupent de l’entretien de la maison et prennent soint des jeunes enfants, ce qui limite leur possibilité de participer à l’enseignement à distance (Human Rights Watch, 2020).

Pauvreté, ressources et enfants marginalisés

La pauvreté et l’inégalité généralisées au Kenya posent de nombreux défis supplémentaires pour les enfants. Le système d’éducation reste sous-financé, comme en témoigne le grand nombre d’écoles publiques et privées actuellement incapables de payer leurs personnels et celles qui ont été contraintes de convertir les espaces scolaires en petites fermes agricoles et pastorales afin de faire rentrer de l’argent (BBC, 2020). En même temps, les enfants en situation de précarité, tels ceux qui sont handicapés, qui vivent dans la pauvreté (souvent dans des environnements de vie exigus et difficiles et manquant des biens de première nécessité) ou ceux vivant à proximité des zones de conflits armés et d’insécurité, ont des risques supplémentaires d’être marginalisés (Human Rights Watch, 2020).

Avant la pandémie, les enfants handicapés ne recevaient déjà pas d’aide appropriée, tandis que ceux qui vivent dans les zones de conflits étaient souvent déscolarisés en raison des récentes recrudescences d’actes de terrorisme et/ou d’activités violentes (Human Rights Watch, 2020). Les écoles apportent aux enfants vulnérables plus que simplement de l’éducation, puisqu’elles fournissent souvent aussi des repas scolaires gratuits. De plus, alors que les parents font face à la croissance du chômage, les enfants sont poussés au travail infantile et constituent une première source de revenu pour la famille, sans le filet de sécurité de l’école pour les protéger (Jelimo, 2020).

Quelle est la bonne façon de progresser ?

Beaucoup de pays d’Afrique de l’Est ont un long chemin à parcourir pour réaliser l’Objectif 4 du Développement Durable – une éducation de qualité, inclusive et équitable. Une plus grande allocation budgétaire est requise pour relever ce défi au Kenya (Global Partnership for Education, 2020). Le Rapporteur spécial sur l’éducation des Nations-Unies a répété que le droit fondamental à l’éducation devait être protégé, même en temps d’urgence (Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, 2020), rappelant les principes soulignés à l’article 17 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et à l’article 11 de la Charte africaine pour les droits et le bien-être de l’enfant (Human Rights Watch, 2020).

En pratique, comme démontré par l’attribution récente de bourses d’études (Odhiambo, 2020) et comme souligné dans les 4 principes de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) (Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, 2020) pour évaluer les problèmes et les priorités et assurer qu’aucun enfant vulnérable n’est laissé de côté, l’éducation doit s’aligner sur les principes de :

  1. Disponibilité – Ces systèmes sont en place pour permettre de pouvoir suivre l’enseignement en présentiel en toute sécurité (dans le cas des étudiants en années de transition) et l’enseignement à distance.
  2. Accessibilité – Ces enfants sont en mesure de participer à des cours à distance, ceci en prenant en compte les problèmes spécifiques socio-politiques et culturels rencontrés par les enfants vulnérables et les filles. Évaluer et tracer l’accessibilité à l’éducation à travers le pays serait utile dans ce cas.
  3. Acceptabilité – Que l’enseignement en présentiel et à distance fournit durant la pandémie soit de qualité et que le matériel didactique soit culturellement adapté aux enfants.
  4. Adaptabilité – Que l’éducation fournie pendant cette période soit adaptable aux besoins changeants de la société face à la pandémie et soutienne tous les paramétrages culturels.

Le cadre établi par ces 4 principes est un outil performant pour contextualiser les inégalités et bâtir une culture d’inclusivité et de coopération dans les systèmes éducatifs, en préservant les droits humains des enfants en ces temps dangereux. Les risques pour la santé physique et mentale (tels que la dépression, l’anxiété et l’isolement) auxquels les enfants sont exposés dans le climat actuel sont graves (Human Rights Watch, 2020). La CDE ne contient pas de clause de dérogation et donc le droit à l’éducation doit être protégé alors que les mesures pour réduire ces droits dans le but de protéger la santé publique « doivent être imposées en cas de nécessité seulement, proportionnelles et maintenues à un minimum absolu » (Conseil des droits de l’homme, 2020).

Ces interventions doivent être appliquées dans l’esprit de l’article 3(1) de la CDE, qui établit les « meilleurs intérêts de l’enfant » comme un principe d’importance capitale (Convention relative aux droits de l’enfant des Nations-Unies, 1989). Il  a été démontré que les écoles sont le meilleur moyen pour les élèves de réaliser leur plein potentiel et, pour reprendre les propos du Dr. Amoth, Directeur général au Ministère de la Santé : « Nous ne pouvons pas perdre une génération à cause d’une pandémie » (Munchunguh & Nyamai, 2020).

À Humanium, nous cherchons à faire prendre conscience de l’importance des droits des enfants à l’éducation, à la vie et à la protection. Rejoignez-nous pour faire des droits de l’enfant à un environnement sécurisé et à une éducation accessible une réalité, en sponsorisant un enfant, en faisant un don ou en devenant volontaire !

Ecrit par Vanessa Cezarita Cordeiro 

Traduit par Laurence Mortier

Pour plus d’information :

Committee on The Rights of the Child. (2020, April 8). The Committee on the Rights of the Child warns of the grave physical, emotional and psychological effects of the COVID-19 pandemic on children and calls on States to protect the rights of children.

Kenya Institute of Curriculum Development

Kenya National Union of Teachers, Universities Academic Staff Union and Kenya Human Rights Commission to the National Emergency Response Committee on Coronavirus. (2020, May 27). Effects of Coronavirus Pandemic on Education – Mitigation Measures, Analysis and Recommendations on Reopening of Schools, Colleges and Universities.

Republic of Kenya Ministry of Education. (2020, May). State Department of Early Learning and Basic Education Kenya Basic Education COVID-19 Emergency Response Plan.

Human Rights Watch. (2020, August 31). Impact of COVID-19 on Children’s Education in Africa Submission to The African Committee of Experts on the Rights and Welfare of the Child.

General Comment No. 13: The right to education (article 13) (1999) (Adopted by the Committee on Economic, Social and Cultural Rights at the Twenty-first Session, E/C.12/1999/10, 8 December 1999)

General Comment No. 1: The Aims of Education (article 29) (2001) (Adopted by the Committee on the Rights of the Child at the Twenty-sixth Session, CRC/GC/2001/1, 17 April 2001) 

Références :

Ambani, S. (2020, November 5). How village schools are struggling to cope with COVID-19 health protocols.

BBC. (2020, August 25). Coronavirus in Kenya: How it turned classrooms into chicken coops.

Global Partnership for Education. Kenya: Putting education at the center of development COVID-19 Response.

Human Rights Watch. (2020, August 26). Impact of COVID-19 on Children’s Education in Africa – 35th Ordinary Session.

Human Rights Council. (2020, June 15). Right to education: impact of the COVID-19 crisis on the right to education; concerns, challenges and opportunities. Report of the Special Rapporteur on the right to education. Human Rights Council Forty-fourth session. A/HRC/44/39.

Jelimo, C. (2020, August 31). Impact of COVID-19 on the right to education in Kenya.

John Hopkins Research Center. (2020, November 11). Coronavirus Resource Center.

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