L’impact du COVID-19 sur l’accès des enfants à la nourriture au Royaume-Uni

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Tout enfant à le droit de bénéficier d’un niveau de vie et d’une alimentation adéquate et de conserver un mode de vie sain. L’insécurité alimentaire des enfants est une question complexe qui a touché les enfants et les familles les plus vulnérables du Royaume-Uni (RU) et ce problème a été exacerbé par la pandémie COVID-19. L’insécurité alimentaire des ménages représente une grande menace pour le bien-être des enfants. Cet article mettra en lumière la manière dont la pandémie COVID-19 a intensifié la détresse de millions d’enfants au Royaume-Uni et les mesures prises par le gouvernement pour y remédier.

Qu’est-ce que l’insécurité alimentaire des enfants ?

L’objectif 2.1 des Objectifs de développement durable des Nations-Unies (ODDNU) exhorte tous les états membres à supprimer la faim et à assurer la fourniture d’aliments nutritifs aux plus vulnérables (y compris les nourrissons) d’ici 2030 (Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies, 2015). L’ampleur mondiale de l’insécurité alimentaire des enfants dans les pays développés et en voie de développement n’est que maintenant considérée comme un problème urgent. Bien qu’il n’existe pas de définition internationalement reconnue de « l’insécurité alimentaire des enfants » ou de la « pauvreté alimentaire des enfants », ces expressions sont utilisées conjointement et de manière interchangeable pour désigner les conditions dans lesquelles les enfants ne peuvent pas avoir accès à une nutrition constante en raison de la pauvreté et de faibles revenus.

Les articles 6 et 27 de la Convention des Nations-Unies sur les droits des enfants (CDE) affirment que les enfants ont un droit inaliénable à l’alimentation, à la protection de la vie, à la survie et au développement, et à un niveau de vie adéquat (CDE, 1989). La nature fondamentale de ce droit est réaffirmée dans l’article 24 de la CDE qui non seulement souligne la nécessité de la nourriture pour le développement de l’enfant, mais insiste sur le fait que cette nourriture doit être nutritive pour protéger sa santé (CDE, 1989). Ces idées sont soutenues par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1966).

La pauvreté alimentaire des enfants au Royaume-Uni

L’insécurité alimentaire des enfants au Royaume-Uni est un problème de longue date qui a entraîné les taux de prévalence les plus élevés d’Europe. Des organisations, telles que la coalition End Hunger UK, ont lancé une campagne visant à réduire de 50% l’insécurité alimentaire des ménages d‘ici 2025 comme point de référence, pour son éradication complète d’ici 2030 (Tickle, 2020). Entre 2011 et 2019, le Trussell Trust – la plus grande banque alimentaire du Royaume-Uni – a enregistré une augmentation stupéfiante du nombre de colis envoyés aux personnes dans le besoin, passant de 61.000 à 1.583.000 (Richardson, 2020).

Cette insécurité est à l’origine d’une malnutrition et d’un obésité généralisées, cette dernière touchant 12% des enfants au Royaume-Uni (Chambre du parlement, 2019). Environ 19% des enfants britanniques de moins de 15 ans vivent avec un adulte qui est en situation d’insécurité alimentaire, dont la moitié appartiennent à la catégorie « grave » (Chambre du parlement, 2019). Au niveau des parents, les adultes sans emploi ou occupant des emplois à faible revenu, vivant avec un handicap ou vivant avec des enfants, sont les plus exposés à l’insécurité alimentaire en raison de la hausse du coût de la vie, qui ne s’accompagne pas toujours d’une augmentation des salaires (Chambre du parlement, 2019).

Dans les observations finales de 2016 sur le Royaume-Uni, le Comité des droits de l’enfants s’est dit préoccupé par la prévalence de l’obésité infantile et par l’absence de données nationales sur la sécurité alimentaire des enfants (Observations finales sur le cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 2016). Il s’agissait notamment de s’interroger sur l’efficacité des politiques existantes, telles que les programmes de repas scolaires gratuits, qui sont considérés comme inefficaces pour remédier à l’insécurité alimentaire à l’échelle nationale (Observations finales sur le cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord, 2016).

L’effet du COVID-19 sur l’accès à la nourriture au Royaume-Uni

L’émergence de la Covid-19 au Royaume-Uni et les mesures de confinement nationales qui ont suivi ont poussé de nombreuses familles vers des niveaux de désespoir sans précédent. On estime que le revenu national médian des ménages a chuté de 4,5% en un an, soit la plus forte baisse en un demi-siècle (Longfield, 2020). Le grand nombre de travailleurs qui ont été mis à pied, ou mis au chômage technique, a conduit à une augmentation significative de l’insécurité alimentaire et de la sous-alimentation des enfants (Baraniuk, 2020).

Après seulement un mois de confinement (de mars à avril 2020), il a été constaté que plus de cinq millions de foyers avec des enfants de moins de 18 ans sont en insécurité alimentaire, avec 200 000 enfants supplémentaires qui sautent des repas en raison du manque de disponibilité de nourriture (The Food Foundation, 2020). En conséquence, le nombre de foyers avec des enfants en situation d’insécurité alimentaire a augmenté de plus de 50% depuis mars (The Food Foundation, 2020).

Le Trussell Trust a estimé à 61% l’augmentation des livraisons de colis alimentaires après le début de la pandémie de la Covid-19, notant une vulnérabilité particulière chez les familles avec enfants (Richardson, 2020). Ces chiffres sont étayés par des données statistiques du Réseau indépendant d’aide alimentaire, qui ont fait état d’une augmentation de 175% de la distribution de colis alimentaires en avril 2020, par rapport au même mois de 2019 (Baraniuk, 2020). En outre, une enquête menée par la Stratégie alimentaire nationale en juillet 2020 a indiqué qu’il y avait eu une augmentation de la consommation de « malbouffe » et de snacks chez les familles vulnérables (plus pauvres) (Baraniuk, 2020).

Des enquêtes supplémentaires de l’Université de Northumbria et de YouGov ont mis en évidence une augmentation du nombre d’enfants sautant plusieurs repas par jour, et ont noté également la détérioration significative de l’état nutritionnel chez les enfants (Baraniuk, 2020). Il a été démontré qu’une mauvaise alimentation a un effet négatif sur la santé physique et mentale des enfants, ce qui a des répercussions sur leurs résultats scolaires (Baraniuk, 2020).

En réponse à cette crise, les banques alimentaires ont considérablement augmenté leur rendement, mais la durabilité de cette approche laisse à désirer. Comme l’a souligné Sabine Godwin, coordinatrice de l’Independent Food Aid Network (IFAN), la pauvreté qui entraîne l’insécurité alimentaire des enfants a précédé la pandémie et ne sera pas résolue par une charité accrue (Butler, 2020). Ce point de vue est renforcé par Niall Cooper, directeur de Church Action on Poverty, qui a demandé une augmentation des salaires et des allocations pour permettre aux gens de pouvoir s’acheter des aliments sains (Tickle, 2020).

Malgré la validité de ces appels à une action à long terme, une réponse immédiate reste nécessaire. La Food Foundation a demandé la mise en place d’un programme d’aide au revenu d’urgence, qui préconise la suppression temporaire du plafond des allocations du Royaume-Uni et le doublement des allocations familiales afin que les parents puissent acheter des aliments sains pour leurs enfants pendant cette période (The Food Foundation, 2020). En l’absence d’un tel programme, les organisations caritatives et les écoles du Royaume-Uni ont pris l’initiative de distribuer de la nourriture aux enfants et aux familles dans le besoin (Human Rights Watch, 2020).

Campagne de Marcus Rashford et réponse du gouvernement

En raison des restrictions nationales (y compris les confinements régionaux), 31% des enfants qui reçoivent normalement des repas scolaires gratuits n’ont pas reçu de substitut depuis la fermeture des écoles (The Food Foundation, 2020). Ce manque d’accès à la nourriture est aggravé par les problèmes du système existants, tels que l’incapacité des enfants à accéder et à utiliser des bons de repas en ligne, ainsi que par les vulnérabilités spécifiques des ménages de travailleurs du NHS (National Health Service) (The Food Foundation, 2020).

En réponse à cela, le footballeur de Manchester United, Marcus Rashford, a soutenu une campagne nationale innovante visant à fournir aux enfants dans le besoin un accès à une alimentation gratuite et nutritive. La campagne, qui a débuté par une pétition (ayant recueilli plus d’un million de signatures), a conduit des milliers de commerces, cafés et restaurants à ouvrir leurs portes pour fournir des repas scolaires gratuits pendant les fermetures d’école et les vacances (Butler, Weale, 2020). L’initiative invite en outre le gouvernement à prolonger exceptionnellement la gratuité des repas scolaires pendant les vacances scolaires pour tenir compte de la perte généralisée de revenus des parents due à la Covid-19 (Butler, Weale, 2020).

Rashford a fait la promotion de la campagne et des efforts de son propre cercle pour soutenir les enfants vulnérables sur les réseaux sociaux, ce qui a conduit l’équipe de « All of Us Together » à s’associer avec la jeune star pour créer une carte interactive indiquant aux enfants les endroits où se trouvent les repas gratuits les plus proches (Butler, Weale, 2020). Les conseils municipaux de tout le pays ont réagi en offrant des milliers de bons de repas gratuits (Butler, Weale, 2020).

Malgré ces actions positives, la réponse du gouvernement a été beaucoup plus incertaine. Le Premier ministre, Boris Johnson, avait d’abord rejeté les demandes de M. Rashford de continuer à offrir des bons de repas hebdomadaires de 15£ pour les enfants pendant les vacances, avant de succomber à la pression de l’opinion publique (Elgot, Walker, 2020) et de créer un « fonds alimentaire Covid d’été » (Syal, 2020), et d’inaugurer un plan de 170 millions de £ pour soutenir les familles dans le besoin (Siddique, 2020). Ce plan a été remis en cause par la National Food Strategy (NFS) qui a demandé un soutien accru à la fois par la fourniture de repas et de chèques-repas (Richardson, 2020). L’incertitude du Premier ministre est bien représentative du large fossé entre les partis politiques en ce qui concerne la gratuité des repas scolaires (Butler, Quinn, Murphy, 2020).

L’ancien Ministre de l’enfance, Tim Loughton, a qualifié d’erreur la décision de ne pas fournir de repas scolaires gratuits pendant la pandémie (Butler, Quinn, Murphy, 2020) tandis que la Chancelière fantôme, Anneliese Dodds, a elle qualifié l’acte comme « incroyable » (Butler, Weale, 2020). D’autre part, certains ont critiqué cette mesure provisoire pour son manque de pérennité et pour son approche étroite. Le député Ben Bradley a décrit cette approche comme étant « un pansement adhésif et non une solution » tandis que d’autres députés ont affirmé que la prolongation des repas scolaires au-delà des périodes scolaires va créer beaucoup plus de dépendances des familles (Weale, 2020).

Comme l’a souligné Emma Revie, directrice de Trussell Trust, la dure situation des enfants dans le besoin exige des solutions à long terme qui vont au-delà de la pandémie (Butler, Quinn, Murphy, 2020). Les arguments et les divisions au sein du gouvernement sur la question indiquent qu’il n’y a pas de stratégie planifiée connue pour l’avenir (Elgot, Walker, 2020). Le système de prestations du Royaume-Uni doit faire l’objet d’un examen plus approfondi, comme l’a déclaré le Secrétaire général conjoint de l’Union de l’éducation nationale : « La Covid-19 est un phénomène naturel, la pauvreté ne l’est pas » (Syal, 2020).

Les meilleures façons de progresser

Pour reprendre les mots du député conservateur Tobias Ellwood, « La vie de cette génération d’enfants a été bouleversée d’une manière que nous n’avions pas vue depuis la Seconde guerre mondiale, nous devons faire tout notre possible pour leur apporter soutien » (Butler, Quinn, Murphy, 2020). Il est essentiel de comprendre les différences entre l’insécurité alimentaire et la malnutrition (notamment pour éviter de trop mettre l’accent sur l’obésité dans les stratégies nationales) et il est nécessaire que les initiatives nationales et locales soient accessibles à tous (Chambre du parlement, 2019).

Un projet de loi sur les petits déjeuners scolaires a été proposé, qui s’appuierait sur le Programme national de petits déjeuners scolaires (gérés par Magic Breakfast et Family Action) pour fournir un petit déjeuner gratuit et nutritif aux milliers d’enfants à travers le pays qui sont contraints de commencer leur journée le ventre vide (Longfield, 2020). Bien qu’il soit peu probable que cela devienne une loi sans le soutien du gouvernement, c’est un exemple instructif de la manière dont un changement de politique pourrait avoir un impact tangible et durable sur la vie des enfants.

En outre, des recherches sont nécessaires pour quantifier l’ampleur et les nuances du défi de l’insécurité alimentaire au Royaume-Uni, en s’appuyant sur les données existantes détenues par le Bureau des statistiques nationales (Chambre du parlement, 2019). Ceci est conforme à la recommandation du Comité des droits de l’enfant de renforcer la collecte de données, le suivi et l’évaluation des politiques et programmes destinés à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition des enfants (Observations finales sur le cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 2016).

Sur la base d’une campagne unique et puissante, le gouvernement doit exploiter le pouvoir de la compassion pour promouvoir des solutions à long terme à l’une des plus graves menaces contre les droits de l’homme au Royaume-Uni (Weal, R). Pour citer le Commissaire écossais de l’enfance et de la jeunesse, « la pauvreté et l’insécurité alimentaire étaient le plus grand problème de droits de l’homme auquel étaient confrontés les enfants au Royaume-Uni avant la pandémie de la Covid-19 » et le virus touche de manière disproportionnée les personnes à risque (The Food Foundation, 2020).

Chez Humanium, nous cherchons à sensibiliser à l’importance des droits des enfants à l’alimentation, à l’éducation et à la protection. Rejoignez-nous pour faire des droits de l’enfant à un environnement sûr et une éducation accessible, une réalité, en parrainant un enfant, en faisant un don ou en devenant bénévole !

Écrit par Vanessa Cezarita Cordeiro

Traduit par Clément Collin

Relu par Denis Gingras

Pour plus d’informations :

#EndChildFoodPoverty

The Trussell Trust, Stop UK Hunger

End Hunger UK

FareShare Fighting Hunger, Tackling Food Waste

All of Us Together Free School Meals

Organisation for Economic Co-operation and Development. (2018, October) Policy Brief on Child Well-Being Poor children in rich countries: Why we need a policy action.

Références :

Baraniuk, C. (2020, August 20). Fears grow of nutritional crisis in lockdown UK. The British Medical Journal.

BBC News. (2020, October 23). School meals: Councils promise help after Rashford Campaign.

Butler, P. (2020, May 1). UK food banks face record demand in coronavirus crisis.

Butler, P. Quinn, B. Murphy, S. (2020, October 25). No 10 under growing pressure to U-turn over free school meals.

Butler, P. Weale, S. (2020, October 28). Marcus Rashford petition to end child food poverty signed by over 1m people.

Committee on the Rights of the Child. (2016, July 12). Concluding Observations on the fifth periodic report of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland. CRC/C/GBR/CO/5

Elgot, J. Walker. P. (2020, October 26). Free school meals: Johnson under renewed pressure from council leaders.

Elgot, J. Walker, P. (2020, October 26). Treasury rejects claims it refused extra £150m for free school meals.

Kleinman, Z. (2020, October 23). Rashford´s free meal tweets made into Google maps.

Islam, F. (2020, October 21). Is there really no money for free school meals?

Longfield, A. (2020, October 13). Lifting children out of poverty and eliminating child hunger if a moral imperative. 

Organisation for Economic Co-operation and Development. (2018, October) Policy Brief on Child Well-Being Poor children in rich countries: Why we need a policy action.

Richardson, C. (2020, September 21). How can we eliminate child food insecurity in the UK?

Siddique, H. (2020, November 8). Marcus Rashford forces Boris Johnson into second U-turn on child food poverty.

Syal, R. Stewart, H. Pidd, H. (2020, June 16). Johnson makes U-turn on free school meals after Rashford campaign.

Tickle, L. (2020, February 16). Why are millions of children in the UK not getting enough to eat?

Toynbee, P. (2020, September 18). Right now, children need a champion. But they are losing one.

The Food Foundation. (2020, May 4). More than five million people in households with children have experienced food insecurity since lockdown began.

United Nations General Assembly. (1989, November). Convention on the Rights of the Child Treaty Series 1577

United Nations General Assembly. (1966, December 16). International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights Treaty Series 999.

Weale, S. (2020, October 21). Marcus Rashford clashes with Tory MPs over free school meals.

Weal, R. (2020, October 29). The PM says no child will go hungry – Our new report shows extending local welfare would be a good place to start.

Human Rights Watch. (2020, May 27). UK: Children in England Going Hungry with Schools Shut.

House of Parliament. (2019, January 10). Sustainable Development Goals in the UK follow up: Hunger, malnutrition and food insecurity in the UK.