Histoire des droits de l’enfant

Les droits de l’enfant, en tant que catégorie distincte des droits de l’homme, ont subi des transformations importantes au cours de l’histoire. Autrefois considérés comme de simples extensions de leurs parents sans droits individuels, les enfants sont désormais reconnus comme des individus autonomes avec des besoins et des protections distinctes. Cette évolution témoigne de l’évolution de la compréhension de l’enfance et de la dignité humaine. Cependant, malgré des progrès significatifs, garantir ces droits à tous les enfants reste une difficulté persistante. 

Points de vue antiques et médiévaux sur les enfants

Dans les sociétés antiques, les enfants étaient souvent considérés comme des biens plutôt que comme des individus dotés de droits. Dans la Rome antique, par exemple, le concept de patria potestas accordait aux pères un pouvoir presque absolu sur leurs enfants, y compris le droit de les vendre, de les exposer ou même de les tuer sans répercussions juridiques (Britannica, n.d.).

Les enfants étaient considérés principalement comme des actifs économiques, valorisés pour leur travail ou pour les alliances que leur mariage pouvait garantir. De même, dans la Grèce antique, les enfants avaient peu de droits et leur bien-être dépendait en grande partie des décisions de leurs parents ou tuteurs.

Le Moyen Âge n’a pas considérablement amélioré le statut des enfants. Dans l’Europe médiévale, par exemple, même s’ils étaient très aimés par leurs parents, les enfants étaient souvent considérés comme de petits adultes, censés contribuer à l’économie du ménage dès leur plus jeune âge (Snell, 2019). Les besoins et les vulnérabilités uniques des enfants étaient peu reconnus juridiquement ou socialement. L’éducation était limitée à quelques privilégiés et le travail des enfants était endémique, des enfants dès l’âge de cinq ou six ans travaillant dans les champs, les mines et les ateliers.

Les Lumières et la naissance de l’enfance moderne

Les Lumières des XVIIe et XVIIIe siècles ont marqué un tournant dans la conceptualisation de l’enfance et des droits de l’enfant. Des philosophes comme John Locke et Jean-Jacques Rousseau ont commencé à remettre en question la notion d’enfants comme petits adultes, affirmant au contraire que l’enfance était une étape unique et formatrice de la vie qui nécessitait une précaution et une éducation particulières.

Dans son Essai sur l’entendement humain, Locke avançait que les âmes des enfants étaient des tabula rasa (tables rases) et que leur développement dépendait des expériences qu’ils acquéraient et de l’éducation qu’ils recevaient (Locke, 1690). Dans son livre Émile, Rousseau présente distinctement les enfants comme fondamentalement différents des adultes, en insistant sur les différentes étapes de leur développement et sur la nécessité de les traiter de manière adaptée à leur croissance (Wilkinson, 2006).

Ces idées ainsi que d’autres idées similaires des Lumières ont jeté les bases d’une nouvelle compréhension des droits des enfants. Elles suggéraient que les enfants n’étaient pas seulement la propriété de leurs parents, mais étaient des individus ayant leurs propres droits à l’éducation, à la protection et aux soins.

Cette période a également vu les débuts de l’implication de l’État dans le bien-être des enfants, en particulier dans le domaine de l’éducation. Par exemple, la Prusse a introduit l’enseignement élémentaire obligatoire en 1763, reflétant une reconnaissance croissante du rôle de dans la garantie que les enfants puissent recevoir l’éducation nécessaire pour devenir des citoyens informés et responsables (Yeban, 2024).

La révolution industrielle et l’essor des lois de protection de l’enfance

La révolution industrielle du XIXe siècle a entraîné des changements sociaux et économiques considérables qui ont eu de profondes répercussions sur les enfants. À mesure que les usines se multipliaient en Europe et en Amérique du Nord, les enfants étaient souvent employés comme de la main-d’œuvre bon marché, travaillant de longues heures dans des conditions dangereuses et insalubres. L’exploitation du travail des enfants était généralisée à cette époque, des enfants dès l’âge de cinq ans travaillant dans des mines, des usines et des fabriques pour des salaires de misère (Radfar et al, 2018). Cette exploitation a suscité une indignation publique croissante qui a conduit à des réformes législatives.

Les premiers efforts législatifs importants pour protéger les enfants de l’exploitation sont apparus sous la forme de Lois sur les Manufactures au Royaume-Uni. La Loi sur les Manufactures de 1833 a été une mesure législative historique qui limitait les heures de travail des enfants et imposait des inspections d’usine pour faire respecter ces restrictions.

Elle interdisait aux enfants de moins de neuf ans de travailler dans les usines textiles, limitait les heures de travail des enfants de neuf à treize ans à huit heures par jour et exigeait qu’ils reçoivent au moins deux heures de cours par jour (Britannica, n.d). Cette loi a été suivie par le Mines Act de 1842, qui interdisait d’employer des garçons de moins de dix ans et toutes les femmes dans les mines de charbon souterraines (Parlement du Royaume-Uni, n.d.).

Des réformes similaires ont été adoptées aux États-Unis, bien que souvent au niveau étatique plutôt qu’au niveau fédéral. Par exemple, le Massachusetts a adopté la première loi d’État rendant la scolarité obligatoire en 1852, reflétant une reconnaissance croissante du rôle crucial de l’éducation pour briser le cycle de la pauvreté et de l’exploitation (Yeban, 2024). À la fin du XIXe siècle, le mouvement de protection des enfants avait pris de l’ampleur dans le monde entier.

Le début du XXe siècle : la naissance du mouvement moderne pour les droits de l’enfant

Le début du XXe siècle a vu la naissance du mouvement moderne pour les droits de l’enfant, caractérisé par une reconnaissance croissante des droits des enfants comme distincts de ceux des adultes. Cette période a été marquée par l’émergence d’organisations et de comités internationaux dédiés au bien-être des enfants. 

En 1919, le Child Welfare Committee (« Comité pour le bien-être de l’enfance ») a été créé, première étape franchie par la communauté internationale, et pas seulement au niveau des États individuels (Jimeno, 2020). Eglantyne Jebb, une pionnière en matière de défense des droits de l’enfant, a ensuite rédigé la première déclaration internationale sur les droits de l’enfant, à savoir la Déclaration des droits de l’enfant (Museum of Cambridge, n.d). 

La Déclaration des droits de l’enfant, adoptée par la Société des Nations en 1924, était un document révolutionnaire qui a jeté les bases des droits modernes de l’enfant. Souvent appelée Déclaration de Genève, elle se composait de cinq principes clés :

  • les enfants doivent avoir les moyens de se développer normalement, tant sur le plan matériel que spirituel ;
  • les enfants affamés doivent être nourris, les enfants malades soignés, les enfants arriérés aidés, les enfants délinquants récupérés et les orphelins hébergés ;
  • les enfants doivent être les premiers à recevoir de l’aide en cas de détresse ;
  • les enfants doivent être en mesure de gagner leur vie et être protégés de l’exploitation ;
  • les enfants doivent être élevés dans la conscience que leurs talents doivent être consacrés au service d’autres êtres humains (D’Costa et Liefaard, 2017).

La Déclaration de Genève a constitué une avancée significative, mais elle n’était pas juridiquement contraignante et n’a eu qu’un impact limité sur les politiques nationales. Néanmoins, elle a établi le principe selon lequel les enfants ont des droits spécifiques et que la communauté internationale a un rôle à jouer dans la protection de ces droits.

L’après-Seconde Guerre mondiale : les Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme

La fin de la Seconde Guerre mondiale et la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945 ont marqué une nouvelle ère dans le développement des droits de l’enfant. Les horreurs de la guerre, notamment les souffrances généralisées des enfants, ont souligné la nécessité de renforcer les protections internationales des droits de tous les individus, y compris les enfants. La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948, est un document historique qui affirme la dignité et les droits de tous les êtres humains, quel que soit leur âge.

L’article 25 de la DUDH traite spécifiquement des droits de l’enfant, en stipulant que « la maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales » et que « tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, bénéficient de la même protection sociale » (Nations Unies, 1948). Cette reconnaissance de la nécessité de protections spéciales pour les enfants a constitué une avancée significative, jetant les bases des traités et conventions internationales ultérieures axées sur les droits de l’enfant.

En 1959, l’ONU a adopté la Déclaration des droits de l’enfant, qui développait les principes de la Déclaration de Genève de 1924. Cette nouvelle déclaration comprenait dix principes, dont le droit à un nom et à une nationalité, le droit à l’éducation, le droit à la protection contre la négligence et l’exploitation, et le droit de grandir dans un climat d’amour et de compréhension. Cependant, comme son prédécesseur, la Déclaration de 1959 n’était pas juridiquement contraignante et son impact était limité par l’absence de mécanismes d’application. Elle a néanmoins ouvert la voie à la Convention des droits de l’enfant, qui reste à ce jour le traité international le plus complet et le plus largement ratifié concernant les droits de l’enfant.

La Convention des droits de l’enfant (CIDE)

Si la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a connu des progrès substantiels, l’adoption de la Convention des droits de l’enfant (CIDE) par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 a été l’étape la plus importante de l’histoire des droits de l’enfant. Ratifiée par 196 pays en 2024, la CIDE a établi un ensemble d’obligations contraignantes pour les États les incitant à protéger et à promouvoir les droits des enfants (Collection des traités des Nations Unies, 2024).

La CIDE repose sur quatre principes fondamentaux : la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement, et le respect des opinions de l’enfant. Elle couvre un large éventail de droits, notamment les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Parmi les principales dispositions de la CIDE figurent le droit à l’éducation, le droit d’être protégé contre toutes les formes de violence, le droit aux soins de santé, le droit d’être entendu sur les questions qui concernent les enfants et le droit à la vie de famille.

L’un des aspects les plus significatifs de la CIDE est sa reconnaissance des enfants comme des participants actifs à leur propre vie, capables d’exprimer leurs opinions et de voir ces opinions prises en compte dans les décisions qui les concernent (Nations Unies, 1989). Cela représente un changement important par rapport aux conceptions antérieures des enfants comme des bénéficiaires passifs de soins et de protection.

La CIDE a également créé le Comité des droits de l’enfant, un organe d’experts indépendants chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention.

Période précédant l’adoption de la CIDE

La Charte Africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, adoptée en 1990 par l’Organisation de l’unité africaine, aborde les questions spécifiques aux enfants africains. Elle est entrée en vigueur en 1999 et a été ratifiée par cinquante États membres de l’Union africaine, tandis que cinq États membres ne l’ont pas encore ratifiée en 2024 (ACERWC, 2024).

Une autre étape importante dans l’amélioration des droits de l’enfant a été l’adoption en 1999 de la Convention sur les Pires Formes de Travail des Enfants. L’objectif de la convention était de stipuler les cinq pires formes de travail des enfants à éradiquer et de donner ainsi la priorité à la lutte contre le travail des enfants (Bureau international du Travail et Union interparlementaire, 2002).

En outre, en 2000, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés a été ratifié. Il est entré en vigueur en 2002 et interdit la participation des mineurs aux conflits armés.

Une exigence qui se construit chaque jour

De la simple possession à l’état contemporain, la situation des enfants a radicalement changé au cours de l’histoire. Cependant, malgré les progrès considérables réalisés, notamment dans l’établissement de cadres juridiques et de traités internationaux, il existe encore un écart considérable entre ces normes et leur mise en œuvre sur le terrain.

De nombreux enfants continuent d’être victimes de violations de leurs droits. Les crises mondiales, principalement les nombreuses guerres en cours, entraînent des déplacements et des migrations qui placent des millions d’enfants dans des situations vulnérables, les privant d’accès à l’éducation, aux soins de santé et à la sécurité.

Les enfants déplacés sont souvent exposés à l’exploitation, à la maltraitance et au trafic. Dans les régions touchées par les mutilations génitales féminines (MGF), de nombreuses filles sont confrontées à cette pratique néfaste qui viole leur autonomie corporelle et provoque des dommages physiques et émotionnels à long terme.

Le travail des enfants demeure également l’un des problèmes les plus importants, avec environ 160 millions d’enfants impliqués dans le monde (OIT, 2020). En outre, le changement climatique exacerbe ces défis en déplaçant les communautés, en perturbant les moyens de subsistance et en aggravant l’insécurité alimentaire. Les enfants sont touchés de manière disproportionnée et sont incapables de jouir de leurs droits fondamentaux à un avenir sain et sûr. 

Pour faire progresser les droits des enfants, il convient de renforcer l’application des lois et des traités internationaux en vigueur. Les gouvernements devraient investir dans des systèmes de protection de l’enfance complets, notamment dans la formation spécialisée des forces de l’ordre et des fonctionnaires judiciaires aux droits de l’enfant.

La société dans son ensemble devrait favoriser une culture de responsabilité et de défense des intérêts, en veillant à ce que les voix des enfants soient entendues et que leurs droits soient respectés tant dans les politiques que dans la pratique. Bien que beaucoup ait été fait, le chemin vers la pleine réalisation des droits de l’enfant est loin d’être terminé.

Écrit par Zeljka Mazinjanin

Relu en interne par Aditi Partha

Traduit par Vandana Koonjal

Relu par Violaine Glatt

Dernière mise à jour le 11 septembre 2024

Bibliographie :

ACERWC (2024), Overview Of The African Charter On The Rights And Welfare Of The Child. retrieved from ACERWC, available at  https://www.acerwc.africa/en/page/about-the-charter, accessed on August 29, 2024.

Britannica (n.d),. Factory Act. Retrieved from Britannica, available at  https://www.britannica.com/event/Factory-Act-United-Kingdom-1833, accessed on August 27, 2024.

Britannica (n.d), Patria potestas. Retrieved from Britannica, available at https://www.britannica.com/topic/patria-potestas, accessed on August 27, 2024.

D’Costa Bina and Liefaard Ton (2017), Human Rights and Children, 17th Informal ASEM Seminar on Human Rights. Retrieved from Asia-Europe Foundation,  available at  https://asef.org/wp-content/uploads/2020/10/Background-Paper.pdf, accessed on August 29, 2024.

International Labour Office and the Inter-Parliamentary Union (2002), Eliminating the worst forms of child labour. Retrieved from International Labour Office and the Inter-Parliamentary Union,  available at http://archive.ipu.org/PDF/publications/childlabour_en.pdf,  accessed on August 29, 2024.

International Labour Organization. (2020). Child labour: Global estimates 2020, trends and the road forward. Retrieved from International Labour Organization, available on https://www.ilo.org/sites/default/files/wcmsp5/groups/public/@ed_norm/@ipec/documents/publication/wcms_797515.pdf, accessed on September 11, 2024.

Jimeno Roldan (2020), The birth of children’s rights between the First and Second World Wars: The historical events leading up to the Convention. Retrieved from the Library of Science, available at

 https://bibliotekanauki.pl/articles/1945355, accessed on August 29, 2024.

Locke John(1690), An Essay Concerning Human Understanding. Retrieved from The Project Gutenberg, available at https://www.gutenberg.org/files/10615/10615-h/10615-h.htm, accessed on August 27, 2024.

Museum of Cambridge (n.d),  Eglantyne Jebb, Founder of Save The Children. Retrieved from Museum of Cambridge, available at https://www.museumofcambridge.org.uk/resources/family-fun/story-time-with-cambridge-characters/eglantyne-jebb-founder-of-save-the-children/, accessed on August 29, 2024.

Radfar Amir et al (2018), Challenges and perspectives of child labor. Retrieved from National Library of Medicine, available at  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6198592/, accessed on August 27, 2024

Snell Melissa (2019), Work and Adolescence in the Middle Ages. Retrieved from ThoughtCo. available at https://www.thoughtco.com/medieval-child-teens-at-work-and-play-1789126,  accessed on August 27, 2024.

UK Parliament ( n.d), Coal mines. Retrieved from UK Parliament, available at  https://www.parliament.uk/about/living-heritage/transformingsociety/livinglearning/19thcentury/overview/coalmines/,  accessed on August 27, 2024.

United Nations (1989), Convention on the Rights of the Child. retrieved from the United Nations, available at https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-child,  accessed on August 29, 2024.

United Nations (1945),  Universal Declaration of Human Rights. retrieved from the United Nations, available at  https://www.un.org/en/about-us/universal-declaration-of-human-rights, accessed on August 29, 2024.

United Nations Treaty Collections (2024), 11.Convention on the Rights of the Child. Retrieved from  United Nations Treaty Collections, available at https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4&clang=_en, accessed on August 29, 2024.

Wilkinson, J Eric (2006), Early Years Pioneers: Jean-Jacques Rousseau. Retrieved from Nursery World, available at https://www.nurseryworld.co.uk/content/features/early-years-pioneers-jean-jacques-rousseau, accessed on September 11. 2024.

Yeban Jade (2024), Compulsory Education Laws: Background. Retrieved from FindLaw, available at  https://www.findlaw.com/education/education-options/compulsory-education-laws-background.html, accessed on August 27, 2024.

Zinkina Julia et al (2016), Mass Primary Education in the Nineteenth Century. Retrieved from Social Studies, available at https://www.sociostudies.org/almanac/articles/mass_primary_education_in_the_nineteenth_century/, accessed on August 27, 2024.