Des enfants victimes d’attentats à la bombe perpétrés par l’État colombien

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Plus récemment, l’histoire de la Colombie a été marquée par un conflit armé. Globalement, les luttes sociales et politiques résultant du mécontentement du secteur rural, de la répartition inégale des terres, et du manque de participation politique au détriment de certains secteurs de la société, ont eu pour conséquence l’usage de la violence (La Comisión para el Esclarecimiento de la Verdad, la Convivencia y la No Repetición, 2022). La situation a fini pars ‘aggraver au niveau national, principalement à cause de l’éruption du trafic de drogue et de l’émergence de groupes armés. 

Contexte du conflit armé en Colombie 

En 2016, des représentants de l’état colombien et des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC), un groupe d’insurgés armés, ont signé un accord de paix (New York Times, 2016). Néanmoins, des organisations criminelles, connues sous le nom de « dissidents » des FARC, ont continué à opérer dans différentes régions de la Colombie. La situation actuelle semble être plus lourd qu’elle ne l’était, car il semble ne pas s’agir d’un affrontement seulement entre la guérilla et l’Etat, mais aussi entre des groupes armés qui se disputent le pouvoir et le contrôle dans différentes parties du territoire colombien (BBC Mundo, 2022). 

En conséquence, la Colombie a adopté une politique de sécurité où la protection de la population civile a été reléguée au second plan, et la réduction du nombre de leaders de groupes criminels semble être en tête de l’agenda politique. Les « faux positifs », où des officiers militaires ont exécuté et représenté à tort des jeunes civils comme des combattants ennemis, n’ont cessé de faire la une de différents journaux (Aljazeera, 2021). Des organisations telles que Human Rights Watch ont affirmé que les membres des forces armées colombiennes sont motivés par des récompenses perverses en retour, telles qu’une promotion au grade supérieur (HRW, 2019). 

Le gouvernement d’Ivan Duque, qui était au pouvoir entre 2018 et 2022, a conduit des opérations militaires contre les groupes armés, dont plusieurs ont ensuite été critiqués par la société civile pour les irrégularités en vertu desquelles ils ont été exécutés (El País, 2022). Les attentats à la bombe perpétrés contre des groupes de guérilleros sont en particulier connus pour leur recrutement constant d’enfants (El Tiempo, 2019). 

En août2019, le gouvernement a exécuté un attentat à la bombe à San Vicente del Caguán. Les examens médico-légaux ont plus tard révélé que 8 personnes sur les 14 tuées durant l’opération étaient des enfants (Cuestión Pública, 2020). Guillermo Botero, le ministre de la Défense nationale de l’époque, a condamné les groupes de guérilleros pour leurs meurtres (BBC Mundo, 2019).

Pour défendre ses subordonnés, l’ancien ministre de la Défense nationale a déclaré qu’ils n’avaient aucune information sur la présence d’enfants dans le camp (Cuestión Pública, 2020). Cependant, le bulletin de renseignements à l’usage exclusif du ministère de la Défense nationale a plus tard prouvé le contraire. (Cuestión Pública, 2020). La situation a généré un débat public important qui a conduit Botero à démissionner (Ministerio de Defensa Nacional, 2019). 

Durant la première moitié de l’année 2021, l’opération militaire des forces armées colombiennes à Calamar (Guaviare) a été remise en question, car elle a entraîné l’assassinat de 8 enfants (El País, 2021). Les autorités colombiennes ont présentés l’opération comme étant légitime, « menée strictement dans le respect des dispositions du droit international humanitaire » (Ministerio de Defensa Nacional, 2021).

Plus tard, le chef du ministère de la Défense nationale, Diego Molano, a déclaré que les enfants recrutés « cessent d’être des victimes lors qu’ils commettent des crimes », les qualifiant par la suite de « machines de guerre ». (Ministerio de Defensa Nacional, 2021). De même, en septembre 2021 les forces armées ont bombardé un camp de l’Armée de libération nationale (ELN) à Litoral de San Juan (Chocó), où quatre autres enfants, âgés de 13 à 17 ans, ont été tués (El País, 2022). 

Les gros titres ont retenti dans le monde entier : « La Commission interaméricaine des droits de l’homme exprime sa préoccupation concernant […] la vulnérabilité des enfants et des adolescents au recrutement forcé en Colombie » (Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), 2021) ; « Des enquêtes sont en cours pour savoir si des mineurs ont été victimes de bombardements des forces armées colombiennes » (CNN Espagnol, 2021).

Ce sont généralement la presse nationale et internationale, les organismes internationaux, et les organisations non-gouvernementales qui génèrent suffisamment d’impact pour que l’Etat respecte strictement les dispositions du droit international, en l’occurrence le droit international humanitaire et les droits humains. Dans ce qui suit, les règles qui s’appliquent à l’Etat colombien dans ces matières seront brièvement abordées. 

Que dit la loi ? 

Il convient de mentionner que l’article 45 de la constitution politique colombienne prévoit la protection des enfants, la décrivant comme une obligation de la société et de l’Etat qui doit être accompagnée d’une formation holistique. De même, le code de l’enfance et de l’adolescence, dont l’intérêt principal est de garantir un développement global et harmonieux des enfants, règlemente le droit à la protection dans son premier article.

L’article 20 du même document juridique prévoit explicitement dans son sixième et son septième paragraphe que les mineurs seront protégés des conflits armés internes, ainsi que du recrutement et de l’utilisation des mineurs par les groupes armés qui opèrent en dehors de la loi. L’Etat est ainsi le garant du plein exercice des droits de chacun d’eux (Código de la Infancia y la Adolescencia, 2006, Art. 41). En plus, il est principalement chargé d’enquêter sur et de punir les crimes et délits dans lesquels des enfants et des adolescents sont impliqués, pour garantir la réparation et la restauration de leurs droits violés (Código de la Infancia y la Adolescencia, 2006, Art. 41). 

En ce qui concerne la sphère internationale, les normes du droit international humanitaire sont également prévues dans l’article 38 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Ayant ratifié le traité en 1991, l’état colombien est tenu d’adopter toutes les mesures possibles pour s’assurer que les enfants de moins de 15 ans ne participent pas directement dans les hostilités, et pour garantir la protection et la prise en charge des enfants qui ont été affecté par les conflits armés.

Cela devient encore plus significatif lorsque l’on note les commentaires faits par des représentants de l’état colombien dans la forme de réservations au moment de la ratification de la CIDE (Recueil des traités des Nations Unies, 1991).  Ils ont affirmé que l’Etat colombien ne limiterait pas la protection aux enfants âgés de 15 ans ou moins, mais l’étendrait jusqu’à l’âge de 18 ans, conformément à la loi colombienne (Recueil des traités des Nations Unies, 1991). Par conséquent, la norme qui s’applique en Colombie est très claire ; elle est même plus élevée que celle prévue dans ce corpus juridique.

La Colombie a également entériné le protocole facultatif à la CIDE, concernant l’implication des enfants dans les conflits armés. En ratifiant le protocole, les États sont tenus de démobiliser tout enfant de moins de 18 ans qui a été recruté obligatoirement ou utilisé dans des hostilités (Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, s.d.).

Ils sont également obligés de réintégrer les enfants dans la société, notamment par la mise en place de services pour que les enfants retrouvent leurs esprits, et du soutien psychologique et physique (Bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés, s.d.). 

La loi internationale fournit également des règles spécifiques pour la protection de l’intégrité physique et psychologique des enfants quand ils sont impliqués dans des activités militaires (Vargas-Areco v. Paraguay, 2006, para. 112-113). Le protocole additionnel aux conventions de Genève d’aout 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) prévoit le besoin d’une protection spéciale pour les enfants, qu’ils ont pris part ou non au conflit.

Plus précisément, l’article 4 (3) affirme qu’il faut fournir aux enfants les soins et l’assistance nécessaires. D’autres principes basiques de la loi internationale humanitaire, comme la précaution et l’humanité, ont également des bases juridiques irréfutables dans le présent contexte. 

Les enfants sont-ils protégés des conflits armés dans la pratique ? 

Les attaques mentionnées dans cet article ne sont pas les seules signalées en violation présumée du droit international. En fait, le modus operandi du gouvernement d’Ivan Duque semblait présenter une sorte de modèle en opérant au mépris total des dispositions du droit international, ignorant complètement les études précédentes du renseignement militaire pour ensuite se vanter dans des déclarations publiques d’avoir diminué le nombre de chefs de groupes criminels (Presidencia de la República, 2019). 

L’Etat colombien a une responsabilité qui ne se prête à aucun doute, qui est d’assurer la protection des enfants et de les sauver du recrutement dont ils ne sont que des victimes. Cette manière d’aborder la situation, sans considérer les enfants comme des criminels ou les étiqueter comme des « machines de guerre », est un point de départ clé. Ces termes ne font que réduire les enfants de nouveau à l’état de victimes face à ceux qui devraient les protéger au maximum. 

Le gouvernement colombien, dirigé par Gustavo Petro and Francia Marquez, a sans aucun doute beaucoup de travail devant lui, notamment en ce qui concerne l’enquête, la punition des auteurs et l’octroi de réparations aux victimes et/ou à leurs familles respectives, ainsi que la mise en œuvre de mesures préventives pour éviter que cela ne se reproduise.

Le gouvernement colombien actuel devrait être en mesure de préparer des mécanismes suffisants et efficaces pour que les victimes et/ou leurs familles puissent obtenir la justice au sein du territoire nationale. Sinon, il pourrait s’écouler des années avant que nombre d’entre eux puissent obtenir une réponse des organes internationaux judiciaires et quasi-judiciaires. 

Les dernières déclarations du gouvernement actuel, dans lesquelles ils s’engagent à ne pas bombarder là ou il pourrait y avoir des enfants recrutés, sont prometteuses (Euronews, 2022). Cependant, elles resteront plutôt insignifiantes jusqu’à ce qu’il soit démontré que la théorie est enfin mise en œuvre dans la pratique.

En tant qu’ONG axée sur le bien-être des enfants dans le monde entier, Humanium condamne fermement le recrutement des enfants et la violence a leur encontre. Humanium continue de travailler à la sensibilisation aux droits des enfants qui sont impliqués dans des conflits armés et de ceux qui ne le sont pas, mais qui deviennent également des victimes – comme dans le cas de la Colombie et de nombreux autres pays à travers le monde. À cette fin, nous faisons appel à la collaboration de ceux qui s’identifient à la cause.

Si vous souhaitez soutenir nos objectifs, veuillez envisager de faire un don, de parrainer ou de faire du bénévolat dans les projets dans lesquels Humanium est actuellement impliqué.

Ecrit par Camila Ortiz Britez

Traduit par Gulbahar ibis

Relu par Alexandra Macpherson

Travaux cités : 

Aljazeera (2021) Colombian army ‘false positives’ scandal: ‘No one listened to us’. Obtained from https://www.aljazeera.com/news/2021/2/23/colombian-army-scandal-no-one-listened-to-us#:~:text=Official%20reports%20that%20claimed%20Garzon,represented%20young%20civilian%20men%20as, accessed on September 12, 2022.

BBC Mundo (2019) Renuncia el ministro de Defensa de Colombia: Guillermo Botero dimite en medio de la polémica por la operación militar en que murieron varios menores. Obtained from https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-50326172, accessed on September 12, 2022.  

BBC Mundo (2022) 3 claves para entender la larga rivalidad entre las FARC y el ELN (y cómo ahora llena de violencia la frontera entre Colombia y Venezuela). Obtained from https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-59863553, accessed on September 12, 2022. 

Case of Vargas-Areco v. Paraguay, Inter-American Court on Human Rights (September 26, 2006) Obtained from https://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_155_ing.pdf, accessed on September 12, 2022. 

CNN Español (2021) Investigan si menores murieron en bombardeo de las Fuerzas Armadas de Colombia. Obtained from https://cnnespanol.cnn.com/2021/03/10/bombardeo-colombia-menores-investigacion-orix/, accessed on September 14, 2022. 

Comisión para el Esclarecimiento de la Verdad, la Convivencia y la No Repetición (2022) Relato histórico del conflicto armado interno en Colombia. Obtained from https://www.comisiondelaverdad.co/sites/default/files/descargables/2022-08/CEV_NARRATIVA%20HISTORICA_DIGITAL_2022.pdf, accessed on September 12, 2022.

Constitución Política de Colombia (1991) Obtained from http://www.secretariasenado.gov.co/constitucion-politica, accessed on September 12, 2022. 

Convention on the Rights of the Child (1989) 1577 UNTS 3. Obtained from https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-child, accessed on September 12, 2022. 

Cuestión Pública (2020) Gobierno sabía que había niños en Operación Atai y aún así los bombardeó. Obtained from https://cuestionpublica.com/exclusivocuestionpublicaydejusticia-liberacion-informes-de-inteligencia-operacion-atai/, accessed on September 13, 2022. 

El País (2021) El ejército de Colombia bombardea un campamento guerrillero con menores. Obtained from https://elpais.com/internacional/2021-03-10/el-ejercito-de-colombia-bombardea-un-campamento-guerrillero-con-menores.html, accessed on September 14, 2022.  

El País (2022) Menores Muertos en bombardeos: un trágico balance del Gobierno de Duque. Obtained from https://elpais.com/america-colombia/2022-07-31/menores-muertos-en-bombardeos-un-tragico-balance-del-gobierno-duque.html, accessed on September 14, 2022.

El tiempo (2019) Secretos del bombardeo que mató a 8 niños y cobró la cabeza de Botero. Obtained from https://www.eltiempo.com/unidad-investigativa/asi-fue-el-bombardeo-en-el-que-murieron-8-ninos-en-caqueta-432146, accessed on September 21, 2022.

Euronews (2022) Colombia suspende los ataques sobre campamentos guerrilleros donde haya menores reclutados. Obtained from https://es.euronews.com/2022/08/26/colombia-suspende-los-ataques-sobre-campamentos-guerrilleros-donde-haya-menores-reclutados, accessed on September 21, 2022. 

Human Rights Watch (HRW) (2019) Colombia: New Army Commanders Linked to Killings. Obtained from https://www.hrw.org/es/news/2019/02/27/colombia-nuevos-comandantes-del-ejercito-estarian-vinculados-con-falsos-positivos, accessed on September 12, 2022. 

Inter American Commission on Human Rights (IACHR) (2021) IACHR Expresses Concern Over Death of Adolescent Girl During Military Operation in Guaviare and Over Vulnerability of Children and Adolescents to Forced Recruitment in Colombia. No. 064/21. Obtained from https://www.oas.org/en/iachr/jsForm/?File=/en/iachr/media_center/preleases/2021/064.asp, accessed on September 14, 2022. 

Código de la Infancia y la Adolescencia. Ley 1098 (2006) Obtained from https://www.icbf.gov.co/sites/default/files/codigoinfancialey1098.pdf, accessed on September 12, 2022.

Ministerio de Defensa Nacional (2019) Comunicado a la opinión pública. Obtained from https://twitter.com/mindefensa/status/1192222610937073664, accessed on September 12, 2022. 

Ministerio de Defensa Nacional (2021) Desde una acción militar legitima en el marco del DIH se realizó el golpe a estructura ‘Gentil Duarte’ en Guaviare. Obtained from https://www.mindefensa.gov.co/irj/portal/Mindefensa/contenido/noticiamdn?idXml=7010b877-2064-3910-a882-9cc82de1fcae&date=10022021, accessed on September 14, 2022.  

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Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on the involvement of children in armed conflict (2000) 2173 UNTS 27531. Obtained from https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/optional-protocol-convention-rights-child-involvement-children, accessed on September 12, 2022. 

Presidencia de la República (2019) Este es un golpe letal a las estructuras criminales del narcotráfico en el Cauca, dijo el Presidente Duque sobre operación en la que cayó alias ‘Alonso’, cabecilla de disidencia de las FARC. Obtained from https://id.presidencia.gov.co/Paginas/prensa/2019/golpe-letal-estructuras-criminales-narcotrafico-Cauca-Presidente-Duque-alias-Alonso-cabecilla-disidencia-Farc-190912.aspx, accessed on September 14, 2022. 

Protocol Additional to the Geneva Conventions of 12 August 1949, and Relating to the Protection of Victims of Non-International Armed Conflicts (Protocol II) (1977) Obtained from https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and-0, accessed on September 12, 2022. 

The New York Times (2016) El gobierno colombiano firmó el acuerdo de paz con las FARC. Obtained from https://www.nytimes.com/es/2016/09/26/espanol/el-gobierno-colombiano-firmo-el-acuerdo-de-paz-con-las-farc.html, accessed on September 12, 2022. 

United Nation Treaty Collection. (1991) Obtained from https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4#EndDec , accessed on September 14, 2022.