La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (CDE) est le traité international relatif aux droits de l’homme le plus ratifié. Depuis son adoption en 1989, elle a été ratifiée par 196 pays, dont la Somalie et le Soudan du Sud en 2015 (OHCRC, 2022). À ce jour, les États-Unis (US) sont le seul pays au monde à ne pas l’avoir ratifié.
De nombreuses personnes aux États-Unis pensent que, même sans la ratification de la CDE, leur pays respecte les principes internationaux des droits de l’enfant, mais en réalité, le pays a encore beaucoup à faire en ce domaine. En fait, la plupart des États américains ne respectent pas les normes internationales relatives aux droits de l’enfant, en particulier celles qui concernent le mariage des enfants, les châtiments corporels, le travail des enfants et la justice pour mineurs.
Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas ratifié la CDE ?
Les États-Unis ont joué un rôle important dans l’élaboration de la CDE. Au cours des négociations dans les années 1980, l’administration Reagan a proposé sept des articles de la CDE, plus que tout autre pays (Becker, 2019). Cette contribution a été décisive en ce qui concerne les articles 10 (réunion familiale), 13 (liberté d’expression), 14 (liberté de religion), 15 (liberté d’association et de réunion),16 (droit à la vie privée), 19 (protection contre toutes les formes de violence) et 25 (examen périodique du traitement).
L’influence américaine a été si importante que certaines personnes ont qualifié la CDE de « traité américain sur les droits de l’enfant » (Cohen, 2006). Néanmoins, à ce jour, les États-Unis n’ont toujours pas ratifié la CDE (OHCRC, 2022).
Le principal argument soulevé contre la ratification de la CDE est qu’elle serait « anti-famille » et menacerait l’autorité parentale. Ce qui n’est pas vrai. Non seulement la CDE souligne combien la famille est déterminante pour le développement de l’enfant (Todres, 2006), mais elle demande également aux gouvernements de « respecter les responsabilités, les droits et les devoirs des parents » (CDE, article 5) et de soutenir les familles dans leurs efforts pour élever et prendre soin de leurs enfants.
En fait, des références à l’importance de la relation parents-enfants apparaissent tout au long du texte (Becker, 2019).De plus, chaque action des parents doit respecter les droits des enfants, en accord avec l’intérêt supérieur de l’enfant (Couzens, 2007).
Un autre argument qui explique l’opposition des États-Unis à la ratification de la CDE est lié à l’impact possible de la CDE sur la souveraineté américaine et sur ses lois étatiques et fédérales (CRS Report, 2015). Cette théorie est fondée sur une lecture erronée des instruments internationaux et de leur impact sur les législations nationales.
Tout d’abord, la CDE ne prévoit ni la création de tribunaux spéciaux pour superviser l’application des normes du traité ni sanctions ou autres formes de renforcement. Le Comité des droits de l’enfant est un organe indépendant des Nations Unies chargé de la mise en œuvre et du suivi de la CDE par le biais d’un mécanisme de rapport (Todres, 2006). Cependant, le Comité des droits de l’enfant ne dispose pas de pouvoirs spécifiques pour faire respecter la CDE.
Les États américains ne parviennent pas à protéger les droits de l’enfant
De nombreuses personnes aux États-Unis supposent que, même sans avoir ratifié la CDE, les États-Unis respectent les principes internationaux des droits de l’enfant. Sur la base de cette hypothèse, Human Rights Watch (HRW) a conçu un tableau de bord interactif pour évaluer les performances des États en ce qui concerne tous les droits de l’enfant inclus dans la CDE, décliné en quatre thématiques : le mariage des enfants, les châtiments corporels, le travail des enfants et la justice pour mineurs (HRW, 2022).
Le choix de se concentrer sur différents États américains s’explique par le fait que de nombreuses questions abordées par la CDE relèvent de la compétence des États et non du gouvernement fédéral. Par conséquent, la protection et l’avancement des droits de l’enfant varient d’un État à l’autre (HRW, 2022).
En outre, le tableau est organisé autour de quatre thématiques sélectionnées sur la base d’un examen initial des domaines dans lesquels les États-Unis ne se conforment pas à la CDE au niveau fédéral et où la Convention a établi des paramètres basés sur des indicateurs mesurables, comme l’âge,pour comparer les lois spécifiques à chaque État (HRW – US States Fail to Protect Children’s Rights, 2022).
Le mariage d’enfants
Le mariage d’enfants est défini comme un mariage dans lequel l’un ou les deux partis ont moins de 18 ans. Selon la norme internationale établie par la CDE, les États Parties ont « l’obligation de reconnaître que les personnes jusqu’à l’âge de 18 ans ont droit à une protection permanente contre toutes les formes d’exploitation et de violence » (Observation générale n° 20), ce qui comprend le mariage des enfants. En fait, l’âge minimum pour le mariage devrait être de 18 ans.
Le mariage d’enfants est associé à des grossesses précoces, à des résultats scolaires inférieurs et à un risque accru de violence domestique et de pauvreté. Il suit des schémas culturels et socio-économiques qui entravent le bien-être de l’enfant et son développement.
À ce jour, le mariage des enfants est légal dans quarante-trois États américains. Avant 2018, année où le Delaware est devenu le premier État américain à interdire le mariage des enfants, il était légal dans les cinquante États américains. Le 28 juillet 2022, le Massachusetts est devenu le septième État à fixer l’âge minimum à 18 ans, sans exception, conformément aux normes internationales (WHR, 2022).
Entre 2000 et 2018, près de 300 000 mineurs ont été légalement mariés aux États-Unis. Si la plupart d’entre eux étaient âgés de 16 ou 17 ans, certains n’avaient cependant que 10 ans (Unchained at Last, 2021). La plupart des mariages d’enfants aux États-Unis concernent des jeunes filles épousant des hommes adultes. En fait, l’âge auquel beaucoup de ces mariages ont lieu ou la différence d’âge entre les conjoints font que ces mariages seraient typiquement considérés comme de la violence sexuelle (HRW, 2022).
Châtiments corporels
Selon la norme internationale établie par la CDE, les États Parties ont « l’obligation de protéger les enfants contre toutes les formes de violence physique et mentale » (CDE, article 19). La CDE « ne laisse place à aucun niveau de violence légalisée contre les enfants » et « les châtiments corporels et autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments sont des formes de violence et les États doivent prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour les éliminer » (Observation générale n° 8, 2007).
En réalité, environ 160 000 enfants subissent des châtiments corporels dans les écoles chaque année. Les enfants noirs et les enfants en situation de handicap sont nettement plus susceptibles de subir des châtiments corporels à l’école (Gershoff et Font, 2016). Seuls deux États ont interdit les châtiments corporels dans les écoles publiques et privées, se conformant ainsi à la CDE.
Dans vingt-cinq États, les châtiments corporels sont interdits uniquement dans les écoles publiques, ce qui signifie que les enfants qui fréquentent des établissements privés peuvent encore en subir. Par ailleurs, dans vingt-trois États, les châtiments corporels ne sont interdits ni dans les écoles publiques ni dans les écoles privées (HRW, 2022).
49 % des enfants âgés de 0 à 9 ans aux États-Unis subissent des châtiments corporels à la maison, et pas un seul État américain n’a interdit les châtiments corporels dans le cadre familial (Gershoff et Font, 2016).
D’autre part, le recours aux châtiments corporels dans les structures d’accueil alternatives est historiquement répandu et sérieux, en particulier à l’encontre des enfants en situation de handicap (Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children, 2012). C’est la raison pour laquelle la plupart des États américains ont interdit les châtiments corporels dans les structures d’accueil alternatives (HRW, 2022).
Le travail des enfants
Selon la norme internationale fixée par la CDE, les États Parties ont « l’obligation de protéger les enfants contre les travaux dangereux ou nuisibles à leur santé, leur sécurité, leur éducation et leur développement moral » et exigent qu’un âge minimum pour l’emploi soit fixé (article 32 CDE).Celui-ci a été établi à 15 ans (Observation générale n° 20, 2016),mais à 18 ans pour l’emploi dans des conditions dangereuses (Convention n° 138 de l’OIT, 1976). Ces principes s’appliquent également au secteur agricole.
En réalité, la loi et les réglementations fédérales en ce qui concerner le travail des enfants aux États-Unis ne parviennent pas à protéger les enfants travaillant dans le secteur agricole, l’industrie la plus dangereuse pour les enfants travailleurs. La loi fédérale permet aux enfants de travailler contre rémunération dans ce secteur à un plus jeune âge, pendant de plus longues heures et dans des conditions plus dangereuses que dans tout autre secteur (HRW, 2022). Selon un rapport du gouvernement américain en 2018 (United States Government Accountability Office, 2018), plus de la moitié des décès liés au travailconcernent des enfants travaillant dans l’agriculture, alors que ces derniers ne représentent que 3 % des enfants travailleurs.
Justice pour mineurs
La justice pour mineurs fait référence au traitement des enfants en conflit avec la loi. Selon la norme internationale établie par la CDE, les États Parties ont « l’obligation d’empêcher les enfants et les jeunes de s’engager dans des activités criminelles ainsi que de protéger les droits de l’homme des jeunes reconnus comme ayant enfreint la loi » (CDE, articles 37 et 40). Selon l’article 40 de la CDE, l’âge minimum de la responsabilité pénale d’un mineur doit être d’au moins 14 ans, et les États sont encouragés à le fixer à 16 ans (Observation générale n° 24, 2019).
Les États-Unis restent le seul pays au monde à condamner des enfants de moins de 18 ans à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle, ce que la CDE interdit strictement. Au début de l’année 2020, plus de 1 400 personnes purgeaient des peines de prison à vie sans libération conditionnelle aux États-Unis pour des délits commis dans l’enfance, parfois quand ils n’avaient que 13 ans (Rovner, 2021). 62 % des personnes condamnées à la prison à perpétuité sans libération conditionnelle pour des délits commis dans l’enfance sont des enfants noirs, bien que ceux-cine représentent que 14 % de la population des jeunes aux États-Unis.
Les normes internationales relatives aux droits de l’enfant stipulent qu’aucun enfant ne doit être poursuivi en justice comme un adulte. Néanmoins, il est estimé que 53 000 enfants sont jugés dans des tribunaux pour adultes chaque année (Mistrett et Espinoza, 2021). Aucun des cinquante États américains n’interdit de traduire des enfants en justice devant des tribunaux pour adultes, et seuls vingt-huit États fixent une limite d’âge pour le transfert des enfants devant de tels tribunaux.
Pas un seul État ne fixe l’âge minimum de la justice des mineurs à au moins 14 ans (la norme internationale) et plus de 30 000 enfants de moins de 12 ans sont renvoyés devant les tribunaux pour mineurs chaque année (Abrams, 2020). Seuls cinq États fixent un âge minimum supérieur à 10 ans. En outre, les châtiments corporels dans les institutions pénales pour enfants restent légaux dans seize États (HRW, 2022).
L’« American story » ne correspond pas à la réalité que vivent la plupart des enfants
La situation décrite dans les sections précédentes représente une réalité qui ne correspond pas à l’idée que la plupart des gens se font des enfants américains. En effet, le mariage des enfants, le travail des enfants, la violence à l’encontre des enfants et la justice des mineurs sont quelques-uns des problèmes qui touchent encore une grande partie de la population des jeunes Américains, même si cette nouvelle ne fait pas partie de « l’histoire américaine » que les médias, les journaux et les réseaux sociaux racontent.
Il est important d’aller au-delà des apparences pour appréhender la réalité et, grâce à cela, plaider pour l’amélioration des droits et de la protection des enfants, et promouvoir des solutions. En ce sens, Humanium est en première ligne dans cette mission. En effet, Humanium continue à promouvoir des réflexions sur des sujets brûlants, peu répandus, et qui affectent significativement les droits des enfants. Si vous souhaitez contribuer à cette cause, n’hésitez pas à envisager de parrainer un enfant, de faire un don ou de devenir bénévole au sein de notre organisation. Agissez dès maintenant pour protéger et promouvoir les droits des plus jeunes d’entre nous !
Écrit par Arianna Braga
Traduit par Line Goddi
Relu par Jean-Christophe Brunet
Référence :
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