La discrimination des enfants roms dans l’éducation

Posted on Posted in Droits des enfants, Droits Humains, Education, Indigènes

Les enfants roms sont doublement discriminés en raison de leur appartenance à deux groupes marginalisés : les enfants et les roms. En tant que membres de la communauté rom, ils sont soumis à des pratiques et politiques discriminatoires systématiquement dans toute l’Europe, qui les affectent pour la simple raison de leur appartenance ethnique. En tant qu’enfants, leurs voix et leurs besoins sont ignorés, parfois en faveur des droits de leurs parents et d’autres fois en faveur des intérêts des non-roms.

Les enfants roms dans l’Europe 

Les Roms sont le groupe ethnique minoritaire le plus important et le plus marginalisé d’Europe centrale et orientale (Commission européenne, 2004). L’estimation de la population rom en Europe (UE) n’est pas claire :  d’une part, la peur de la stigmatisation et la discrimination pousse des centaines de milliers de personnes à ne pas s’identifier comme Roms (Peleg, 2018), et d’autre part, le terme générique « Roms » englobe différents groupes, notamment, les Roms, les Sinti, les Kale, les Romanichels, les Boyash/Rudari, les Ashkali, les Égyptiens, les Yéniches, les Dom, Lom, Rom et Abdal, ainsi que les populations Gens du voyage (gens du voyage, Gitans, Camminanti, etc.) (Lecerf, 2021).

En quittant ces locaux, environ 10 à 12 millions de Roms vivent en Europe, dont environ 6 millions sont des citoyens ou des résidents de l’UE (site web du Conseil de l’Europe). La Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie sont les trois pays ayant les pourcentages les plus élevés (9,94 %, 8,63 % et 7,49 % de la population totale, respectivement) (Conseil de l’Europe, 2012).

Les droits de l’Homme des roms sont violés quotidiennement (Kostadinove, 2011). Dans la plupart des cas, les roms vivent dans des communautés pauvres et défavorisées caractérisées par des taux de chômage élevés (Ringold, et al, 2011), de mauvaises conditions d’hygiène, le manque d’eau courante et la pénurie ou le manque de services socio-éducatives. Les chiffres sur l’éducation sont également alarmants. Selon la Banque Mondiale, l’écart moyen dans la scolarisation primaire des enfants roms est d’un quart du taux correspondant pour les enfants non roms, et seulement 64 % des filles roms fréquentent l’école, contre 96 % des filles issues de milieux socio-économiques similaires ailleurs en Europe centrale et orientale (Peleg, 2018). 

Les enfants roms subissent une discrimination raciale dans le système éducatif de toute l’Europe Est, principalement par l’un des trois moyens suivants : être placés dans des écoles spécialisées, la ségrégation dans les salles de classe de ces écoles spécialisés ou dans les pensionnats, où les parents non-roms n’envoient pas leurs enfants à l’école dans les zones peuplées de Roms (Centre européen pour les droits des Roms, 2004). 

Au fil des ans, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué sur plusieurs affaires concernant la discrimination à l’encontre d’enfants roms dans le domaine de l’éducation et la section suivante a l’ambition de souligner certaines des principales affaires liées à cette branche spécifique du droit des droits de l’homme.

L’invisibilité des enfants roms dans le récit de la Cour européenne des droits de l’Homme  

La jurisprudence de la CEDH en matière d’éducation et de discrimination à l’égard des enfants roms remonte à l’affaire de linguistique belge de 1968. L’affaire concernait un groupe de parents qui contestaient la légalité d’une loi, prévoyant que la langue d’enseignement devait être le néerlandais dans les régions néerlandophones de Belgique, le français dans les régions françaises et l’allemand dans les régions germanophones du Pays (Peleg, 2018). 

Dans les régions néerlandophones, les parents français affirmaient l’absence d’écoles adéquates offrant un enseignement en langue française et que les autorités les avaient empêchés d’envoyer leurs enfants dans des écoles francophones en dehors de leur localité, les forçant ainsi à inscrire leurs enfants dans des écoles locales ou la langue d’enseignement était le néerlandais. Pour ces raisons, les parents allèguent une violation de leur droit à la vie familiale (Article 8) et du droit à l’éducation combiné avec le droit à la non-discrimination (Article 2 – Procotole 1 et Article 14). 

Dans leurs observations, les parents ont fait référence aux droits de leurs enfants, affirmant que l’un des objectifs de l’éducation est de développer l’intellect et la culture des enfants, ce qui inclut les compétences linguistiques (Peleg, 2018). D’autre part, le gouvernement belge a fait valoir que le droit à l’éducation dans sa propre langue n’est pas protégé par la convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ou ses protocoles. De plus, compte tenu du fait que les parents n’appartiennent pas à une minorité nationale, l’article 14 ne peut être appliqué. 

La Cour a décidé que, bien que l’article 2 du Protocole 1 soit formulé en termes négatifs, il consacre néanmoins un droit positif. En fait, sans établir d’obligations positives, y compris le devoir d’assurer l’accès à l’éducation, le droit à l’éducation n’aurait essentiellement aucun sens et ainsi assurer l’accès des enfants à l’éducation crée un devoir correspondant pour l’État de respecter les préférences linguistiques des parents. La Cour a ajouté qu’il serait absurde de ne pas reconnaître cette obligation et d’empêcher certains élèves d’être scolarisés dans la langue de leur choix en fonction de leur lieu de résidence (Affaire linguistique belge, 1968).

Bien que la communication des défenseurs décrive les enfants comme des titulaires de droits, les opinions des enfants sur la question n’ont pas été prises en compte. Bien sûr, les décisions des parents ont un impact sur l’éducation des enfants, mais la première responsabilité en matière d’éducation reste celle de l’État. Dans cette affaire, la Cour a raté l’occasion d’identifier les enfants comme titulaires de droits, mais au moins la Cour a mentionné que l’affaire concernait « les droits ou les libertés d’un enfant » (Affaire Linguistique belge, 1968).

Mouvement pour lutter contre la discrimination envers les enfants roms

L’adoption de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989 a marqué un tournant dans la reconnaissance des droits de l’enfant et dans la lutte contre la discrimination des enfants roms dans le domaine de l’éducation. En fait, cette évolution correspond à la montée en puissance d’un « mouvement européen » de lutte contre les discriminations, à une plus grande prise de conscience de la marginalisation des Roms (Declour et Hustinx, 2015) et à l’adhésion des pays d’Europe de l’Est au Conseil de l’Europe, ce qui a apporté plus de Roms sous la juridiction de la CEDH (Peleg, 2018).

Une affaire qui marque un changement radical dans le traitement par la Cour des droits des enfants des minorités est l’affaire de 2007 DH V. République Tchèque (2007). Cette affaire concernait dix-huit enfants roms, ressortissants tchèques, qui soutenaient qu’ils étaient soumis à une politique de ségrégation consistant à envoyer des enfants roms dans des écoles pour enfants ayant des besoins spéciaux. L’évaluation des besoins spéciaux a été réalisée au moyen de certains tests de diagnostic qui n’étaient pas adaptés aux enfants roms pour des raisons linguistiques et culturelles et parfois il n’y avait même pas de diagnostic préalable.

Dans ce cas, les enfants étaient les requérants et ils ont fait valoir que la politique en cause violait leur droit individuel à l’éducation. D’autre part, la République tchèque a nié l’existence de toute politique de ségrégation et affirmé que toutes les décisions étaient prises pour des raisons pédagogiques. 

Au premier degré de jugement, la Chambre, à la majorité de 6 contre 1, a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation des droits de l’enfant (Affaire DH, 2007). Néanmoins, en appel, la Grande Chambre a conclu, dans une décision à la majorité de 13 contre 4, que les droits des enfants avaient été violés et qu’ils faisaient l’objet d’une politique discriminatoire dont le seul objectif était de séparer les enfants en fonction de leur origine ethnique et de leur race. La Grande Chambre a jugé qu’il existait une politique qui plaçait de manière disproportionnée les enfants roms dans des écoles spécialisées en se référant à des données statistiques.

En outre, la Grande Chambre a souligné l’obligation de l’État de protéger l’identité et le mode de vie des enfants roms car ils font partie d’un groupe minoritaire. La Grande Chambre a également rejeté l’allégation selon laquelle l’envoi d’enfants roms dans des écoles spécialisées était la réponse appropriée à leurs mauvais résultats scolaires, déclarant qu’en tant que membres d’un groupe minoritaire qui souffrait d’une négligence et d’une discrimination institutionnelles persistantes, il était inévitable que ces enfants aient de mauvais résultats scolaires. Mais leurs faibles notes n’étaient pas une indication de besoins d’apprentissage particuliers, mais plutôt pertinentes pour le devoir de l’État de protéger de manière adéquate leur droit à l’éducation sans discrimination (Affaire DH, 2007).

L’affaire DH est un exemple rare dans la jurisprudence de la CEDH sur la question de la discrimination des enfants roms dans l’éducation pour deux raisons principales. Premièrement, parce que les arguments utilisés par la Cour sont formulés en relation avec les droits des requérants (la Cour s’est référée aux articles 28 et 30 de la CNUDE pour étayer sa conclusion selon laquelle les droits de l’enfant ont été violés) (Affaire DH, 2007). Deuxièmement, parce que la Cour a directement abordé la discrimination raciale dans les écoles du point de vue des droits de l’enfant, en les considérant comme des titulaires de droits. Dans de nombreuses autres affaires sur la question de la discrimination des enfants roms dans le domaine de l’éducation, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas fait preuve de la même conscience et de la même ambition dans la reconnaissance des droits des enfants.

Par exemple, l’affaire Sampanis c. Grèce (2008) impliquait onze requérants, adultes de nationalité grecque d’origine rom. Malgré une politique officielle du gouvernement qui encourageait les enfants roms à s’inscrire dans le système éducatif national, les demandeurs alléguaient que leurs enfants étaient soumis à une politique de ségrégation. Au début, les parents se sont vu refuser la possibilité d’inscrire leurs enfants dans les écoles locales.

Une fois cet obstacle levé, les parents d’enfants non roms ont commencé à boycotter les cours fréquentés par les enfants roms. Le directeur décida donc de placer les enfants des requérants dans un bâtiment séparé attenant à l’école, où ils étaient scolarisés par des enseignants moins qualifiés et suivant un programme différent et de moindre qualité. Le gouvernement grec a justifié cette procédure en faisant valoir que la motivation pour séparer les requérants n’était pas raciale, mais plutôt pédagogique, arguant qu’une éducation séparée les préparerait mieux à l’avenir. 

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il n’y avait aucune justification objective ou raisonnable de la discrimination à l’encontre des enfants des requérants et que, par conséquent, la politique en question violait le droit à la non-discrimination en conjonction avec le droit à l’éducation. Cependant, contrairement à l’affaire DH, le jugement ne faisait pas référence aux enfants en tant que titulaires de droits, mais se concentrait plutôt sur la violation des droits des parents (Kosko, 2010).

L’importance de reconnaître l’intersectionnalité des enfants roms

Les cas analysés dans la section précédente soulignent le fait que séparer les enfants roms de leurs pairs constitue une violation du droit à l’éducation, en conjonction avec le droit à la non-discrimination. Néanmoins, il semble que la Cour se préoccupe davantage des droits des parents et du positionnement social des communautés roms (Peleg, 2018).

Ce type d’approche néglige la vulnérabilité unique des enfants des minorités, qui est enracinée dans leur affiliation à deux groupes marginalisés : les enfants et les Roms. Au lieu de reconnaître l’intersectionnalité de la marginalisation des enfants roms et de reconnaître que leurs droits sont violés en raison de ces doubles affiliations, ces enfants sont discriminés à deux reprises : l’un contre leur gouvernement national en raison de leur origine ethnique et de leur race, et l’autre par la CEDH en raison de leur âge.

Les expériences des enfants roms par rapport à leur éducation doivent être comprises à la lumière de leurs positions sociales qui se chevauchent et se croisent en tant que Roms et en tant qu’enfants. Comme mentionné précédemment, en tant que membres de la minorité rom, les enfants roms sont soumis à des pratiques et politiques discriminatoires systématiques dans toute l’Europe, qui ne se limitent pas au domaine de l’éducation. De plus, en tant qu’enfants, leur voix est rarement respectée ou prise en compte, et leurs droits humains sont systématiquement ignorés par les gouvernements nationaux et la CEDH.

Reconnaître l’intersectionnalité des enfants roms est essentiel pour promouvoir leurs droits, et nous, à Humanium, sommes fortement engagés dans cet objectif. Rejoignez Humanium en parrainant un enfant, en faisant un don, en devenant membre ou bénévole !

Ecrit par Arianna Braga

Traduit par Gulbahar ibis 

Relu par Khalid Aada

References:

Case DH v Czech Republic, Application No 57325/00, Merits and Just Satisfaction, 13 November 2007. Retrieved from: https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-83256, accessed on 29 May 2022. 

Case ‘Relating to Certain Aspects of the Laws on the Use of Languages in Education in Belgium’ v Belgium (‘Belgian Linguistics Case (No 2)’) Applications Nos 1474/62 et al., Merits, 23 July 1968. See also Case ‘Relating to Certain Aspects of the Laws on the Use of Languages in Education in Belgium’ v Belgium Applications Nos 1474/62 et al., Merits, 9 February 1967. Retrieved form: https://hudoc.echr.coe.int/tur#{%22itemid%22:[%22001-57524%22]}, accessed o 29 May 2022. 

Case Sampanis v Greece, Application No 32526/05, Merits and Just Satisfaction, 5 June 2008. Retrieved from: https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-2378798-2552166&filename=003-2378798-2552166.pdf, accessed on 29 May 2022. 

Case Valsamis v Greece, Application No 21787/93, Merits and Just Satisfaction, 18 December 1996. Retrieved form: https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-58011, accessed on 29 May 2022. 

Council of Europe (2012), Council of Europe and Roma: 40 Years of Action, p. 20. Retrieved from: https://book.coe.int/en/minorities/4867-the-council-of-europe-and-roma-40-years-of-action.html, accessed on 28 May 2022.

Declour, C., Hustinx, L. (2015), Discourses of Roma Anti-Discrimination in Reports on Human Rights Violation, 3 Social Inclusion 90, p. 96. Retrieved from: https://www.cogitatiopress.com/socialinclusion/article/view/225, accessed on 28 May 2022.

European Commission (2004), The Situation of Roma in an Enlarged European Union. Retrieved form: http://www.errc.org/uploads/upload_en/file/00/E0/m000000E0.pdf, accessed on 28 May 2022. 

European Roma Rights Centre (2004), Stigmata: Segregated Schooling of Roma in Central and Eastern Europe. Retrieved from: http://www.errc.org/reports-and-submissions/stigmata-segregated-schooling-of-roma-in-central-and-eastern-europe, accessed on 28 May 2022. 

Kosko, S. (2010), Parental Consent and Children’s Rights in Europe: A Balancing Act,  11 Journal of Human Development and Capabilities 425. Retrieved from: https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19452829.2010.495516, accessed on 28 May 2022. 

Kostadinova, G. (2011), ‘Minority Rights as a Normative Framework for Addressing the Situation of Roma in Europe’, 39 Oxford Development Studies, pp. 166 – 168. Retrieved from: https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13600818.2011.570864, accessed on 28 May 2022. 

Lecerf, M. (2021), Understanding EU action on Roma inclusion. Retrieved from: https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2021/690629/EPRS_BRI(2021)690629_EN.pdf, accessed on 30 May 2022.  

Peleg, N. (2018), Marginalisation by the Court: The Case of Roma Children and the European Court of Human Rights, Human Rights Law Review, Volume 18, Issue 1, March 2018, Pages 111–131. Retrieved from https://doi.org/10.1093/hrlr/ngx040, accessed on 24 May 2022. 

Roma people in the EU. Retrieved from https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/combatting-discrimination/roma-eu/roma-equality-inclusion-and-participation-eu_en#:~:text=Related%20links,Roma%20people%20in%20the%20EU,ban%20across%20EU%20Member%20States, accessed on 24 May 2022. 

Ringold, D. et al., (2005), Roma in an Expanding Europe: Breaking the Poverty Cycle (World Bank, 2005), cited in UNICEF, The Right of Roma Children to Education: Position Paper (2011), p. 15. Retrieved from: https://www.unicef.org/eca/media/1566/file/Roma%20education%20postition%20paper.pdf, accessed on 28 May 2022. 

Tobin, J. (2009), Judging the Judges: Are They Adopting the Rights Approach in Matters Involving Children?’, 33 Melbourne University Law Review 579; Tobin, ‘Courts and the Construction of Childhood: A New Way of Thinking’ in Freeman (ed.), Law and Childhood Studies (2011) 55. Retrieved from: http://www.mulr.com.au/issues/33_2/33_2_8.pdf, accessed on 28 May 2022.