La diversité des corps- les droits des enfants intersexes à définir eux-mêmes leur propre corps

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« La médecine et la société doivent considérer les personnes intersexes comme normales. J’existe dans la nature et je demande à prendre mes propres décisions, comme n’importe quelle autre personne. Et je le demande pour toutes les personnes qui sont nées intersexes. »

– Karen A. Walsh (Davis, 2016)

Le terme « intersexe » est un terme générique qui décrit des caractéristiques physiques qui ne peuvent pas être assignées aux définitions habituelles de « garçon » ou « fille » (United Nations & Commissioner, 2017). Les caractéristiques intersexes sont souvent perçues comme un problème de santé qui doit être « normalisé ». Ces chirurgies « normalisatrices » sont souvent pratiquées uniquement à des fins esthétiques pour retrouver les caractéristiques sexuelles binaires. 

Les droits fondamentaux des enfants sont bafoués au travers de ces procédures médicales. La Convention internationale sur les droits de l’enfants (CIDE) encourage l’autonomie des enfants intersexes à consentir aux interventions médicales non nécessaires. Les experts médicaux ne sont autorisés à pratiquer ces interventions que dans des situations exceptionnelles, en cas de nécessité médicale. Il est essentiel d’interpréter séparément la nécessité médicale et les attentes sociales de la société que les corps des enfants soient conformes aux genres binaires.

La « normalisation» de chirurgies nocives sur les enfants intersexes

Habituellement, la plupart des règlements médicaux requièrent le consentement de la personne pour subir un traitement. Dans la plupart des pays, les parents ou les responsables légaux sont habilités à consentir aux soins médicaux pour leurs enfants. Concernant les enfants intersexes, ceci est très problématique. Les parents prennent des décisions souvent à partir de l’avis des experts médicaux et leurs enfants subissent des interventions médicales « normalisatrices » qui ont uniquement des objectifs esthétiques. Le but est surtout d’adapter leurs caractéristiques physiques à la binarité des sexes« masculin » et « féminin ». 

Dans les pays du monde entier, les enfants intersexes sont souvent soumis à des procédures irréversibles qui peuvent causer une douleur permanente, l’infertilité, l’incontinence, la perte de sensations sexuelles et une souffrance psychologique tout au long de la vie, incluant la dépression (HRC, 2020; Agius, 2015). Des études empiriques en Allemagne, par exemple, ont démontré que beaucoup d’enfants intersexes ont subi une gonadectomie, une réduction de leur clitoris, une opération du vagin et une correction de leur voie urinaire.

En outre, ces interventions sont régulièrement suivies d’une série de complications opératoires et post-opératoires. De nombreuses personnes intersexes rapportent que leur traitement a été traumatisant. Elles parlent notamment de procédures humiliantes comme avoir été exposé à de nombreux groupes d’experts médicaux étudiant les caractéristiques intersexes.

La reconnaissance de l’interférence avec les droits des enfants intersexes

Il est reconnu par plusieurs organismes des droits humains que ces interventions nocives violent les droits des enfants intersexes. Par exemple, le rapporteur spécial sur la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants a déclaré que les Etats devaient abroger toutes les lois autorisant des traitements intrusifs et irréversibles, incluant la chirurgie de normalisation génitale forcée. 

Dans une déclaration devant le Conseil des Droits Humains, 33 Etats ont « appelé les gouvernements à protéger de toute urgence l’autonomie des adultes et des enfants intersexes et leur droit à la santé, et à l’intégrité physique et mentale pour qu’ils vivent libérés de la violence et des pratiques néfastes» (HCR, 2020). De même, le comité de la CIDE et le comité du CEDEF ont insisté sur leurs recommandations aux Etats selon lesquelles la chirurgie esthétique sur les enfants intersexes nécessite d’être réalisée avec le consentement individuel des concernés. 

La définition de la nécessité médicale en dehors des normes sociales binaires

Les organismes de défense des droits humains soulignent l’urgence d’interdire ces chirurgies « normalisatrices » sur les enfants intersexes parce que leurs droits fondamentaux sont violés. L’article 9 de la CIDE stipule que les Etats « doivent protéger les enfants de toute forme de violence physique ou mentale, blessure ou exploitation » (CIDE, 1989). Uniquement dans des limites bien définies, des restrictions peuvent être imposées à ce droit. Concernant les interventions médicales sur les enfants intersexes, elles ne peuvent être réalisées que par nécessité médicale. Ici, il est essentiel de définir le terme de « nécessité médicale » pour effectivement protéger les enfants intersexes.

Pour cela, il faut dérouler les motifs de ces interventions néfastes non nécessaires sur les enfants intersexes. Les « normes » du genre binaire sont celles qui guident habituellement les avis que les médecins donnent aux parents pour le consentement aux traitements de « normalisation » des enfants. Ils croient que les enfants doivent se conformer aux catégories de genre « fille » ou « garçon » dans le but d’éviter d’être stigmatisés ou discriminés. Ainsi, le point de vue binaire dans notre société modèle l’interprétation de la nécessité médicale. 

Pour préserver les droits des enfants, la « nécessité médicale » doit s’appliquer uniquement quand les traitements sont essentiels à la santé physique des enfants, comme dans le cas d’un danger imminent pour leur vie (Internationale Vereinigung Intergeschlechtlicher Menschen, 2020; OHCHR, 2019). Dans tous les cas, les interventions chirurgicales sur les enfants intersexes constituent une violation de leur intégrité physique selon l’article 19 de la CIDE. 

Promouvoir la diversité corporelle

Les arguments des médecins selon lesquels les enfants intersexes souffrent d’expériences de harcèlement ou d’un sentiment de non-appartenance ne peuvent en aucun cas être une justification pour réaliser les interventions. Ce qui est nécessaire, c’est un examen médical approfondi de la diversité physique des corps qui n’ont pas à être catégorisés.

Les enfants intersexes affrontent la discrimination et donc, il est crucial de nommer avec précision ces discriminations dans notre société. Il est nécessaire de fournir au personnel médical – qui est personnellement impliqué dans ces interventions chirurgicales – une formation, un enseignement sur les droits humains qui sont bafoués lors de ces interventions et sur les conséquences néfastes pour les enfants intersexes. 

Les enfants sont responsables de leur corps

En particulier, les enfants intersexes doivent être responsables de ce qui arrive à leur corps. Dès lors qu’ils sont concernés, ils doivent décider des traitements qui doivent être réalisés. Une telle décision est étayée par le principe sous-jacent de la CIDE : l’autonomie des enfants. L’autonomie des enfants s’appuie sur l’article 12 de la CIDE, qui légifère sur les droits à la participation des enfants dans toutes les affaires qui les concernent ainsi que sur le droit à une identité protégée dans l’article 8 de la CIDE.

Les caractéristiques sexuelles des enfants concernent une partie de leur identité. Par l’interférence avec leur corps sans le consentement des enfants, leur droit à une identité est violé alors que leur identité doit être préservée (CRC, 1989; Sandberg, 2019).  

Puisque l’autodétermination de son propre corps est un élément essentiel de son identité, les interventions médicales doivent être reportées jusqu’à ce que l’enfant soit en âge de donner un consentement éclairé.

Ce processus décisionnel doit être accompagné par des experts-consultants en dehors du cadre médical (Intersexuelle Menschene.V., 2020; Deutsches Institut für Menschenrechte, 2021). De cette façon, les enfants seront empêchés de décider de subir des interventions médicales en raison de la pression sociale. 

Les Etats doivent protéger les droits des enfants intersexes

Le fait que les procédures de « normalisation » représentent une situation inhumaine est clair. Les Etats doivent maintenant répondre pleinement à ces situations de violations des droits humains en établissant des lois qui correspondent aux besoins des enfants intersexes. Ces dernières années, il y a eu des améliorations dans leur protection. En Allemagne, par exemple, une loi est passée en 2021 pour interdire la chirurgie sur les enfants intersexes au seul motif de l’adaptation de leur corps à la compréhension binaire des sexes (Bürgerliches Gesetzbuch (BGB), 2021).

La loi allemande doit être soutenue dans le sens où elle étend la protection des enfants intersexes (Deutsches Institut für Menschenrechte, 2021).Cependant, l’étendue de la protection des enfants intersexes n’est pas tout à fait exhaustive. Le pouvoir de décider si les enfants appartiennent au groupe protégé des enfants intersexes est toujours basé sur des directives médicales qui pathologisent les enfants intersexes (Internationale Vereinigung Intergeschlechtlicher Menschen, 2020). 

Mais, il est crucial de ne plus mesurer les traitements des enfants intersexes à partir des déviations du genre binaire (Internationale Vereinigung Intergeschlechtlicher Menschen, 2020). Au lieu de cela, la médecine et la société ne doivent plus les considérer comme des corps pathologiques, seulement comme des corps d’enfants qui correspondent à la binarité des sexes.

Chez Humanium, nous promouvons la diversité corporelle parmi les enfants. Humanium travaille à un monde dans lequel les enfants décideront en autonomie de leur corps. Rejoignez Humanium en parrainant un enfant, en faisant un don, en devenant membre ou bénévole.

Ecrit par Louisa Steffen

Traduit par Clarisse Dehaeck

Relu par Ania Beznia

Références :

Agius, S. (2015). Human rights and intersex people. Council of Europe Commissioner for Human Rights, retrieved from Council of Europe, accessed on 18 April 2022.

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